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peut dire qu’il y ait été encouragé par Louis XIV, car, jusqu’ici, Nicomède a été la seule représentation tragique par lui donnée devant le roi ; tout le reste est comédies ou farces. Mais il ne lui suffisait pas de jouer médiocrement les tragédies des autres; peut-être en aurait-il composé lui-même si le public ne l’en eût détourné obstinément, — à preuve une Thébaïde qu’il aurait donnée en province, avec accompagnement de pommes cuites, et Don Garcie de Navarre, comédie héroïque du genre le plus relevé. Il trouva le roi moins sévère que le public : tandis que Don Garcie n’obtenait à la ville que sept représentations, il en avait quatre à la cour, chiffre très considérable, en tenant compte de la proportion habituelle. Heureusement Molière suivit l’avis du public et revint à la comédie par un chef-d’œuvre, l’École des maris, que, non-seulement, le roi fit jouer devant lui, mais qu’il alla voir, semble-t-il, au Palais-Royal. Dans la pièce suivante, les Fâcheux, le roi lui faisait l’honneur de collaborer avec lui. On connaît l’anecdote; au sortir de la première représentation, Louis XIV lui dit, en désignant le grand-veneur, M. de Soyecourt, fort galant homme, mais narrateur impitoyable : « Voilà un grand original que tu n’as pas encore copié. » En vingt-quatre heures, la scène du chasseur était faite, et jouée devant la cour à la seconde représentation.

Un an après les Fâcheux, Molière donnait l’École des femmes. Il était à Paris depuis quatre ans et, sauf Don Garcie de Navarre, il n’avait eu que des succès ; aussi que d’ennemis aux aguets n’attendant qu’une occasion favorable pour l’écraser, s’il se pouvait : comédiens des deux troupes rivales, auteurs jaloux, critiques pédans, précieuses ridicules, maris malheureux, partisans des vieux usages ! L’École des femmes sembla leur fournir cette occasion, et ils donnèrent avec un merveilleux ensemble. Vite l’Hôtel de Bourgogne commande à Boursault le Portrait du peintre ; M. Lysidas va répétant que les comédies de Molière « ne sont pas proprement des comédies et qu’il y a une grande différence de toutes ces bagatelles à la beauté des pièces sérieuses, » que l’École des femmes, en particulier, fait hausser les épaules à « ceux qui possèdent Aristote et Horace; » les précieuses déclarent que la pudeur est « visiblement blessée » par l’interrogatoire d’Agnès ; les marquis « ne sauraient digérer le potage et la tarte à la crème. » Un intrigant de lettres, homme d’actualité, comme nous dirions aujourd’hui, Donneau de Visé, le futur auteur du Mercure galant, s’empresse de souffler sur ce beau feu et, dans ses Nouvelles nouvelles, raille les gens de qualité de leur patience à l’égard de l’impertinent poète : « Ils ne veulent rire qu’à leurs dépens, ils veulent que l’on fasse voir leurs défauts en public, ils sont les plus dociles du monde, ils auroient été bons