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importance. Il refusa pour la seconde fois ; mais, au bout de deux ou trois jours, il se ravisa, et je me hâtai de faire signer au roi sa nomination, de crainte que son orgueil ne prit définitivement le dessus. On a beaucoup parlé dans le temps de quelques arrangemens entre lui et le roi par l’entremise de M. Laffitte, sorte de transaction dont Mirabeau avait donné l’exemple lorsqu’il se rapprocha de la cour en 1791. J’ignore si ce bruit a quelque fondement ; en tout cas, je n’y fus pour rien et je trouvai dans Benjamin Constant, comme on va le voir, un auxiliaire très peu secourable.

Tout étant ainsi réglé du premier coup et tant bien que mal, ce qui pressait, c’était d’entrer en rapport avec les puissances étrangères et de ne pas rester au cœur de l’Europe comme une aventure à la Masaniello. Le corps diplomatique accrédité près de Charles X était, ainsi que je l’ai indiqué plus haut, resté à Paris et plutôt bienveillant, mais au pied levé et sans pouvoirs réguliers. Pour en obtenir, il fallait écrire propria, c’est-à-dire regiu manu, écrire aux têtes couronnées et leur faire accepter le bon frire ; et pour cela, il fallait assaisonner au besoin les lettres de commentaires et d’explications orales ; et pour cela enfin, il fallait bien choisir les messagers qui seraient chargés de ces délicates missions.

Le général Baudrant, devenu le premier aide-de-camp du jeune duc de Chartres après avoir été son mentor, traversa la Manche ; il fut accueilli à bras ouverts par la population. Toute l’Angleterre était dans l’ivresse presque autant que la France. De ville en ville, de bourg en bourg, fourmillaient spontanément et comme à l’envi des meetings joyeux. Des hustings étaient dressés sur toutes les places publiques ; on y célébrait à grands hourras les prouesses de nos ouvriers et de nos gamins ; on chantait la Parisienne sur tous les tons, on la jouait sur tous les instrumens ; pour peu de chose, on eût dételé la post-chaise empruntée par notre représentant à l’hôtel qu’il daigna choisir. Dans une courte excursion que je fis en Angleterre, quelques mois plus tard, sans caractère officiel, et dont je parlerai en son temps, je retrouvai encore en branle tout ce mouvement d’enthousiasme populaire. Il n’aurait guère été possible au gouvernement d’y résister, supposé qu’il y fût enclin ; mais, sans le partager, il n’y répugnait pas. Le rot était ami de la France et d’humeur libérale, comme il le prouva bientôt en soutenant énergiquement un plan de réforme qui dépassa de beaucoup les espérances des plus confians ; ses ministres gardaient rancune à Charles X de l’assistance morale que la France avait prêtée à l’empereur Nicolas dans sa guerre contre la Turquie et, à M. de Polignac, de sa persistance dans l’expédition d’Alger, malgré l’opposition de l’Angleterre ; ils ne voyaient pas sans quelque satisfaction l’intimité entre la