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opérés, tant dans le personnel que dans le matériel des services publics, durant le premier mois de notre administration.

Ce rapport, ou plutôt cette communication sans caractère déterminé, sans dénomination officielle, n’était guère autre chose qu’une réponse au déluge de sollicitations qui pleuvait sur nous, à l’universelle postulation des emplois, aux dénonciations incessantes et réitérées contre les fonctionnaires prétendus carlistes. C’était le crime du moment ; chacun de nous ayant vidé son sac dans ce commun compte-rendu et prouvé que, dans son propre département, il avait frappé assez dru et n’avait pas eu la main trop légère, nous espérions en être quittes. Vain espoir ! la communication fut très mal reçue, précisément parce qu’elle avait pour but de fermer la porte aux prétentions ; la chasse au carlisme, c’est-à-dire en bon français la curée des places, n’en continua que de plus belle, jusqu’au jour où l’un des limiers de cette meute affamée s’étant écrié d’une voix vibrante : « Savez-vous bien, messieurs les ministres, ce que c’est qu’un carliste ? » nous lui répondîmes d’un commun accord :

— Un carliste, c’est un homme qui occupe un poste dont un autre homme a envie.

L’éclat de rire fut universel et nous valut quelques jours de répit.

Je note en passant, à titre de progrès, — de progrès latent dans l’ordre des institutions constitutionnelles, — le parti que nous primes, que nous prîmes de nous-même et sans provocation quelconque, le parti, dis-je, de soumettre à l’approbation des chambres le chiffre du contingent appelé chaque année pour le recrutement de l’armée. Ç’avait été, ainsi que j’en ai fait mention en son temps, un grand sujet de débat entre le parti doctrinaire et le ministère de 1818. Nous avions été vaincus ; devenus vainqueurs, ce que nous avions réclamé, nous le fîmes de bonne grâce ; pratiquement, la chose avait peu d’importance.

Je note également en passant le crédit de 60 millions ouvert au ministre des finances pour avances à l’industrie dans la crise que nous traversions (il fallait que cette mesure fût bien nécessaire pour que M. Louis s’y résignât) et successivement des crédits votés jusqu’à concurrence de 67,490,000 francs pour faire face aux dépenses de l’expédition d’Alger. Il ne faut pas oublier ici que cette expédition n’était pas alors aussi populaire qu’elle l’est devenue depuis, à mon regret, et que peu s’en fallut qu’elle ne figurât à titre de grief dans le procès des ministres.

Il vint enfin, ce triste procès qui devait préparer et précipiter notre chute, ce qui n’était un grand mal pour aucun de nous, mais ne tarda pas à remettre en péril la société à peine échappée aux scènes de désordre qu’elle avait traversées.