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personne de Molière. Il est probable, en effet, que Simonin a dessiné son modèle d’après nature ; le tableau des « farceurs » est trop exact dans l’ensemble pour ne l’être pas sur un détail essentiel ; quant à Brissart et Sauvé, ils publièrent leur suite moins de dix ans après la mort de Molière, et divers indiens laissent croire qu’ils l’avaient préparée de son vivant. On regrette de ne pouvoir plus joindre à cette liste le portrait du Louvre, qui inspirait à Michelet une si belle page descriptive ; mais, longtemps classé sous le nom de Mignard, puis de Lebrun, puis de Lenain, il reste aujourd’hui sans attribution et pourrait bien n’être, lui aussi, qu’un Molière par à peu près.

Eh bien, je regrette de détruire une illusion chez ceux qui ne voient la beauté intellectuelle que complétée par la beauté physique, mais, comparaison faite de ces divers documens, je suis obligé de dire que Molière était laid. Non pas, bien entendu, d’une laideur déplaisante : des traits que le génie éclaire peuvent être irréguliers, la flamme intérieure leur donne une beauté d’ordre supérieur. Mais, le génie mis à part, tout, dans ce corps et ce visage, était le contraire de la régularité. D’abord, quoi qu’en dise Mlle Poisson, — qui, en 1740, à près de soixante-quinze ans, traçait de mémoire le portrait d’un original vu par elle à sept ans, — Molière n’avait pas « la taille plus grande que petite, » mais justement le contraire : il était plus petit que grand. Il suffit, pour s’en convaincre, de regarder le tableau des « farceurs, » où sa stature, en tenant compte de la perspective, est sensiblement inférieure à celle des autres personnages. De même dans les estampes de Brissart et Sauvé, celles, notamment, du Médecin malgré lui, de l’Avare et le l’Impromptu de Versailles. Le cou est très court, la tête enfoncée dans les épaules ; et cette conformation, dont les ennemis de Molière, comme Montfleury et Chalussay, n’ont pas manqué de tirer parti, était assez frappante pour que le peintre n’ait pas cru pouvoir la dissimuler tout à fait dans les portraits, évidemment flatteurs, de la Comédie-Française et de Chantilly. Le buste est massif et trapu, les jambes longues et grêles. Sur ce corps sans harmonie une très grosse tête, avec un visage rond, des pommettes saillantes, des yeux petits et très écartés l’un de l’autre, un nez large à la racine et des narines dilatées, une grande bouche et des lèvres épaisses, un menton fortement accusé, le teint brun, la moustache et les cheveux presque noirs. On comprend qu’un homme ainsi bâti n’ait jamais pu s’imposer au public dans les amoureux tragiques ; mais, mieux fait et avec des traits plus fins, aurait-il réussi complètement dans la comédie et dans la farce ? La beauté l’y eût plus gêné que servi. D’autre part, si l’on trouve ici la vérité choquante, c’est que, le plus souvent, lorsque l’on