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4,000 à 5,500 livres. Molière avait, en outre, sa pension comme « bel esprit » et les gratifications royales. Aussi s’était-il meublé comme un grand seigneur ; en 1670, Chalussay décrivait avec une admiration envieuse les splendeurs au milieu desquelles il vivait :


Ces meubles précieux sous de si beaux lambris,
Ces lustres éclatans, ces cabinets de prix,
Ces miroirs, ces tableaux, cette tapisserie,
Qui, seule, épuise l’art de la Savonnerie.


Les papiers de Molière, publiés par Eudore Soulié, nous introduisent, en effet, dans une demeure vraiment somptueuse. Son logement de la rue de Richelieu ne comprend pas moins de deux étages, le premier et le second, avec quatre entresols et de vastes dépendances. Dans les quatorze pièces qui le composent sont accumulés les beaux meubles, les verdures de Flandre, les tapis de Turquie, les tableaux, des pendules de Raillard et Gavelle, les deux horlogers en renom, une profusion d’argenterie, de bijoux, de linge, une batterie de cuisine aussi complète que possible. Plusieurs détails décèlent même le goût du bibelot, comme nous dirions aujourd’hui ; ainsi « une grande coupe de porcelaine fine, » soixante-huit pièces de cette porcelaine de Hollande, — « vases, urnes, buires, » — dont on parait les cheminées et les buffets, etc. Grimarest était donc bien renseigné lorsqu’il écrivait : « Il étoit très sensible au bien qu’il pouvoit faire dire de tout ce qui le regardoit ; ainsi, il ne négligeoit aucune occasion de tirer avantage dans les choses communes comme dans le sérieux, et il n’épargnoit pas la dépense pour se satisfaire. » Appelons les choses par leur nom : avec un sentiment très vif du charme que met dans la vie un entourage familier de belles choses, Molière n’était pas exempt d’un certain goût d’ostentation.

Au moment de sa mort, il était servi par un domestique assez nombreux pour une famille de trois personnes : deux femmes, Renée Vannier, dite La Forest, servante de cuisine, Catherine Lemoyne, fille de chambre, et un valet, appelé Provençal, peut-être parce que Molière l’avait ramené de Provence. La Forest, la vieille La Forest, est presque aussi populaire que son maître, grâce à deux anecdotes, venant l’une de Boileau, l’autre de Grimarest. « Molière, dit Boileau, lui lisoit quelquefois ses comédies, et assurait que, lorsque des endroits de plaisanterie ne l’avoient point frappée, il les corrigeoit, parce qu’il avoit plusieurs fois éprouvé, sur son théâtre, que ces endroits n’y réussissoient point ; » et Brossette ajoute qu’elle avait assez de sens littéraire pour ne pas confondre du Brécourt avec du Molière. Selon Grimarest, elle accompagnait son maître au théâtre, et elle y rendait quelques petits services, car le registre de La Grange porte un paiement de 3 livres à son nom ; elle était dans la