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souvent le plus gros, l’enfariné aux joyeuses grimaces, ne prétendait pas à un certain degré d’estime sociale. Il en était des œuvres comme de l’auteur. À ce point de vue encore, nous avons fait des progrès vers une appréciation plus équitable ; malgré la hiérarchie des genres, nous admettons qu’à une certaine hauteur il n’y a que des égaux parmi les écrivains, il n’y a plus de rangs. Ces rangs existaient au temps de Molière, et il le sentait si bien que, dans la Critique, il protestait contre celui que l’on donnait à ses pièces et saisissait l’occasion d’établir entre la comédie et la tragédie un parallèle tout à l’avantage de la première.

Louis XIV avait beaucoup de bon sens et un jugement très sûr, mais si, en bien des choses, il créa l’esprit de son temps, en beaucoup d’autres il ne fit que l’adopter et le suivre, en lui donnant un caractère souverain de justesse et de dignité. En ce qui touche Molière, il s’en tint, semble-t-il, à l’opinion générale sur les comédiens et sur les auteurs. On ajustement remarqué que l’on ne trouve dans ses rapports avec lui rien de semblable à ce que nous offre la biographie de Boileau ou de Racine. Pour Boileau, il avait plus que de l’estime; c’était une véritable affection, tolérante dans l’occasion, attentive, délicate. De toutes les louanges qu’on lui prodiguait, celles, du satirique lui étaient les plus agréables ; lorsque le poète faisait une cure aux eaux de Bourbon, il s’inquiétait de sa santé; il lui passait son intraitable droiture de sens poétique, son jansénisme, ses sorties intempestives contre Scarron ; il lui disait lorsqu’il quitta la cour : « Souvenez-vous que j’ai toujours à vous donner une heure par semaine quand vous voudrez venir. » Mêmes sentimens pour Racine, qui entrait encore plus avant dans la familiarité royale, avait un appartement à Versailles, était de tous les Marlys, et, durant une maladie du roi, couchait dans sa chambre et lui lisait Plutarque. Mais, dit-on, Molière était valet de chambre du roi, et cette charge lui permettait d’approcher souvent de Louis XIV. A y regarder de près, ce n’est là qu’une conjecture peu vraisemblable. D’abord, bien que la notice de 1682 prétende que Molière, reçu dès son bas âge en survivance de la charge paternelle, la remplit exactement jusqu’à sa mort, nous savons que Poquelin père l’en avait dépossédé en 1654 au profit d’un frère puîné, qu’il en reprit lui-même les fonctions en 1660, et qu’il les conserva probablement jusqu’à sa mort. Admettons, cependant, que le père se contentât d’exercer lui-même la partie de ces fonctions qui lui convenait le mieux, savoir la fabrication et la garde des meubles du roi, — deux choses dont Molière n’avait certainement pas le loisir de s’acquitter, — et qu’il laissât le reste à son fils, ce reste consistait uniquement à faire le lit du roi avec les valets de chambre, et à moins d’admettre