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Il était inévitable que cette obligation du travail donnât lieu à beaucoup de discussions. S’il faut en croire Tacite, les affranchis auraient eu une propension à manquer à leurs devoirs. Si l’on croit les jurisconsultes, ce seraient les patrons qui auraient exagéré leurs droits « jusqu’à charger outre mesure et opprimer les affranchis. » Des deux affirmations contraires nous concluons seulement que les conflits étaient perpétuels. Les tribunaux étaient sans cesse appelés à trancher ces débats. Par les efforts continus des juges, des jurisconsultes, des empereurs, il s’établit une jurisprudence à peu près fixe sur la matière. D’une part, les juges obligèrent l’affranchi à s’acquitter « des travaux qu’il avait promis pour obtenir la liberté. » D’autre part, les jurisconsultes et les empereurs rappelèrent aux patrons que les travaux devaient toujours être en rapport avec les forces et l’état de santé de l’affranchi, et ne devaient jamais être exigés d’un malade. Ils ajoutèrent même que celui qui aurait deux enfans en serait exempte. Aussi bien que l’homme, la femme affranchie devait un certain nombre de journées, au moins jusqu’à l’âge de cinquante ans. Mais, si elle se mariait, elle était aussitôt dispensée de cette obligation. La raison de cette faveur s’aperçoit bien, et le jurisconsulte la dit : c’est que la femme ne pouvait servir à la fois son patron et son mari. Mais pour la même raison, cette femme ne pouvait se marier qu’avec la permission du patron. Rien de plus légitime suivant les idées des anciens. Puisqu’un tel mariage devait porter préjudice au droit du patron, on trouvait juste que le patron eût la faculté de s’y opposer. Il n’est pas inutile de noter que, dans cet engagement que l’esclave prenait en vue d’obtenir la liberté, on pouvait insérer la clause que les journées de travail seraient dues, non-seulement par lui, mais encore par ses enfans nés ou à naître. C’est Ulpien qui nous fournit ce renseignement significatif.

On voit assez que le maître qui avait affranchi un esclave n’avait pas renoncé à tout son droit de propriété sur sa personne et sur son travail. Il en fut de même pour ses biens. Il était fréquent, dans la société romaine, que les affranchis s’enrichissent ; car c’étaient eux qui avaient en main presque tout le commerce. Ils exerçaient même la plupart des professions que nous appelons libérales : ils étaient médecins, architectes, libraires, précepteurs, quelquefois même professeurs. A eux appartenaient aussi les emplois publics de second ordre ; ils remplissaient les bureaux de l’administration ; ils étaient greffiers des juges, agens des gouverneurs des provinces, commis des douanes. Ces emplois étaient peu estimés, à ce qu’il semble, mais ils étaient lucratifs. Regardez les inscriptions, regardez les lois, tout montre que les affranchis arrivaient à la fortune. Il n’est donc pas inutile de nous demander ce que devenait leur succession.