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On vit des colons à tous les degrés de l’échelle, depuis le bien-être d’une famille laborieuse et assurée de posséder toujours son champ, jusqu’à l’extrême misère du paysan que son champ ne nourrit plus et qui n’a pas le droit de chercher son pain ailleurs.


IX. — DE LA DIVISION HABITUELLE DU DOMAINE EN DEUX PARTS.

Nous venons de compter et d’observer plusieurs classes différentes de cultivateurs : esclaves travaillant en commun, esclaves à petite tenure, fermiers libres, affranchis, colons. On se tromperait si l’on supposait que ces classes se succédant se soient supprimées l’une l’autre. Le fermier libre n’a pas fait disparaître l’esclave. Le colon n’a pas fait disparaître complètement les fermiers libres ; car on en trouve jusqu’à la fin de l’empire. Quant à l’esclave et à l’affranchi gratifiés d’une petite tenure, ils ne se sont substitués que pour une faible part à la familia travaillant en commun. La vérité est que toutes ces catégories d’hommes ont vécu ensemble, non confondues, mais entremêlées sur les mêmes terres. C’est seulement la proportion numérique entre elles qui a varié aux différens siècles. Nous ne devons pas nous figurer le domaine rural cultivé exclusivement par une espèce de cultivateurs, d’abord par des esclaves, plus tard par des fermiers libres, plus tard encore par des colons. Il y a eu de tout cela à la fois sur un même domaine. Le système de l’exploitation directe par un groupe d’esclaves et le système de la tenure colonaire semblent contradictoires ; en réalité, tous les deux étaient pratiqués en même temps et s’associaient. Le domaine était, en général, divisé en deux parts : l’une était cultivée directement par le groupe des esclaves travaillant pour le compte du maître seul ; l’autre était affermée ou mise en tenure dans les mains de petits cultivateurs qui en partageaient les profits avec le propriétaire. Ce partage du domaine rural est une coutume à laquelle l’historien doit faire grande attention ; nous la retrouverons au moyen âge, où elle produira les plus grandes conséquences ; il importe de constater qu’elle a existé déjà dans la société de l’empire romain, dont la Gaule faisait partie.

Prenons d’abord comme exemple le petit domaine d’Horace. Le poète ne prend pas la peine de nous le décrire autant que nous le souhaiterions. Encore montre-t-il d’un trait qu’il contient deux parts bien distinctes : d’un côté, il s’y trouve cinq fermiers libres qui ont chacun « un foyer, » c’est-à-dire une maison à eux et visiblement un lot de terre. De l’autre côté, il y a sur ce même domaine huit esclaves qui travaillent sous les ordres d’un villicus esclave comme eux ; leur condition est sans doute assez dure, puisque le poète plaisamment menace Davus, esclave citadin, de l’envoyer, lui