Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/871

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

préfets de Rome, consuls. Mais, regardez les lettres de Symmaque et celles de Sidoine Apollinaire, qui peignent si bien les habitudes et les sentimens de cette haute classe, et vous serez frappé de voir combien ces hommes, si ambitieux qu’ils fussent de dignités et d’honneurs, étaient encore plus attachés à la paisible existence de leurs domaines. Plusieurs amis de Symmaque ressemblent à ce Vérinus, dont il trace le portrait : il a exercé les plus hautes fonctions de l’empire et même de grands commandemens militaires ; mais « tout le temps qu’il a pu dérober à ces devoirs publics, il l’a passé heureux et honnête dans ses terres. » Sidoine veut-il rappeler les vertus de son grand-père, qui avait été préfet du prétoire, il vante son égal attachement à trois choses, « à la vie rurale, au service de l’état et à ses devoirs de juge. » Ces hauts fonctionnaires se gardaient bien de vieillir dans leurs fonctions. Ils traversaient rapidement la carrière et ils revenaient vivre, jeunes encore, dans leurs domaines. On en voyait même qui avaient une grande répugnance à s’éloigner de leurs terres pour devenir fonctionnaires de l’état. Symmaque console un de ses amis qui a dû quitter ses terres pour le palais impérial. Sidoine reproche à son jeune ami Eutrope de se dérober aux honneurs ; n’est-ce pas pour lui un devoir de situation et de famille de prendre du service ? Qu’il entre donc « dans la milice du palais, » au moins pour quelques années. Aime-t-il mieux vivre caché au milieu de ses bouviers et de ses laboureurs ? Que ne quitte-t-il ses domaines pour aller siéger dans les assemblées publiques et pour gouverner une province ?

Ces hommes, visiblement, aimaient la vie de château ; Sidoine et Symmaque dans leurs lettres nous le montrent à chaque page. Ils bâtissaient, ils faisaient des irrigations, ils dirigeaient la culture, ils vivaient au milieu de leurs paysans. Un Syagrius, dans son beau domaine de Taionnac, « coupait ses foins et faisait sa vendange. » Un Consentius, fils et petit-fils des plus hauts fonctionnaires de l’empire, est représenté par Sidoine « mettant la main à la charrue, » comme la vieille légende avait représenté Cincinnatus. Les amis d’Ausone, ceux de Symmaque sont pour la plupart de grands propriétaires et ils se plaisent à la vie rurale. Des historiens modernes ont dit que la société romaine ou gallo-romaine n’aimait que la vie des villes et que ce furent les Germains qui enseignèrent à aimer la campagne. Je ne vois pas de quels documens ils ont pu tirer cette théorie. Je crains que ce ne soit là une de ces idées toutes subjectives que l’esprit moderne a introduites dans cette histoire. Ce qui est certain, c’est que les écrits que nous avons du IVe et du Ve siècle dépeignent l’aristocratie romaine comme une classe rurale autant qu’urbaine ; elle est urbaine en ce sens qu’elle exerce les