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au milieu de ses livres. » Dans sa belle villa Octaviana, Consentius possède une riche bibliothèque. Ferréolus, ancien préfet du prétoire, réunit dans sa villa Prusianum un tel nombre de livres « qu’on dirait une boutique de libraire ; » on y distingue les rayons des orateurs, ceux des poètes, et, à part, les livres plus édifians « que lisent les dames. » Chez cet homme de goût, Varron est à côté de saint Augustin, Horace à côté de Prudence. Un Gaulois, ami de Symmaque, lui a écrit qu’il voulait étudier l’ancienne histoire de la Gaule ; Symmaque aussitôt offre de lui prêter les derniers livres de Tite Live, les Commentaires de César et les Guerres de Germanie de Pline l’Ancien. Beaucoup de ces hommes copiaient les manuscrits ou dirigeaient les copistes. Un puissant sénateur comme Victorianus, un ancien préfet de Rome comme Nicomachus Flavianus, employaient leurs loisirs à réviser le texte de Tite Live.

Beaucoup d’autres faisaient des vers. Nulle société ne fut plus féconde en petits poètes élégans que cette société romaine de la fin de l’empire. Dans la Gaule seule, Sidoine, sans se compter, en nomme six qui sont ses amis, et il omet ceux-là même dont quelques œuvres nous sont parvenues : Paulin de Périgueux, Marius Victor. Butilius Namatianus, Paulin de Nole, Paulin de Pella. L’empereur Majorien, traversant une ville de Gaule, trouva moyen de réunir cinq poètes à sa table et s’amusa à établir entre eux un concours d’improvisation. Nous devons remarquer que presque tous ces poètes appartenaient à la classe sociale la plus élevée, c’est-à-dire à celle des grands propriétaires fonciers et des hauts fonctionnaires de l’état. L’un d’eux, nommé Pétrus, était ministre de Majorien ; un autre, nommé Léo, le fut du roi Euric ; Paulin de Nole, avant d’entrer dans l’église, était l’un des plus riches propriétaires de la Gaule ; Consentius, Ecdicius, Syagrius, tous un peu poètes, étaient de grands personnages dans l’état. Ces mêmes hommes étaient déjà orateurs, puisqu’ils faisaient partie de toutes les assembles publiques, assemblées où l’on parlait certainement plus que l’on n’agissait[1]. Orateurs à la ville, ils étaient poètes à la campagne. Faire des vers, les envoyer à ses amis, en recevoir d’eux, remercier et louer, était l’une des grandes affaires de ce temps-là : futilité, je le veux bien, mais futilité décente et de bon goût. Il est des sociétés où la classe riche n’en fait pas tant. Travail des champs, chasse, étude, tout cela composait une existence à la fois douce et active, bien réglée et polie. Faut-il croire les documens ? Ils nous disent que les femmes étaient chastes et les hommes ordinairement honnêtes. Je ne sais pas où les historiens modernes ont trouvé que

  1. Sur ces assemblées provinciales de l’empire romain, dont il ne faut ni réduire ni exagérer l’importance, on pourra consulter prochainement la savante étude de M. Paul Guiraud, que l’Académie des Sciences morales vient de couronner.