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gentilhomme ; en 1671, il applique le même mélange à la tragédie, et, avec Corneille, donne Psyché; la même année, il esquisse la Comtesse d’Escarbagnas pour le Ballet des ballets. Dès 1669, Benserade se voyait forcé de quitter la partie et, resté maître de la place, Molière remplissait l’attente du roi, qui lui indiquait lui-même des sujets, ainsi les Amans magnifiques et le Ballet des ballets.

Cette participation si directe aux plaisirs royaux se traduisait nécessairement, pour Molière, par d’abondans profits. On sait que Louis XIV, magnifique dans ses fêtes, n’était nullement prodigue, et, quoiqu’il dépensât beaucoup, savait compter. Mais, avec Molière, il faisait grandement les choses, et l’on trouve à chaque page, dans le registre de La Grange, la preuve de ses munificences. Pour n’en citer qu’un exemple, les représentations de la Princesse d’Élide, accompagnée des Fâcheux et du Mariage forcé, soit un service de huit jours, valurent 4,000 livres à la troupe et 2,000 à son chef. Souvent répétées, ces gratifications expliquent le chiffre, relativement assez bas, de 6,000 et 7,000 livres, que ne dépassa point la pension accordée à la troupe de Molière, tandis que l’Hôtel de Bourgogne avait 12,000 livres et la troupe italienne 15,000. Par les chiffres proportionnés de ces pensions, Louis XIV tenait compte de l’ancienneté de l’Hôtel et du délaissement où il le tenait, comme aussi, pour les Italiens, de la situation d’une troupe étrangère, appelée à Paris, et qui n’y aurait pu subsister sans une aide considérable. Avec Molière, des gratifications répétées étaient la juste récompense de ses constans efforts.


IV.

Si l’histoire des pièces de Molière nous donne assez de renseignemens pour nous faire une opinion sur la conduite de Louis XIV à son égard, ces pièces elles-mêmes nous en donnent d’aussi complets sur les sentimens du poète à l’égard de Louis XIV; elles achèvent aussi de nous instruire sur sa situation à la cour. Et d’abord, leur lecture, même superficielle, ruine l’hypothèse fantaisiste d’après laquelle l’auteur du Misanthrope aurait été, dans un siècle monarchique et à la cour d’un despote, un précurseur, une âme républicaine, mal à l’aise dans une atmosphère de servitude, et gardant en elle-même comme un foyer de libre pensée que nulle contrainte ne pouvait éteindre. Molière pensait, à l’égard de Louis XIV, comme la très grande majorité de ses contemporains ; il le tenait pour le plus grand roi du présent et du passé, l’incarnation de la grandeur