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l’astrologie, la magie se donnent la main et que l’ignorance populaire entretient d’absurdes légendes qui pèsent d’un poids cruel sur le pauvre fou[1]. On l’exorcise, on lui administre des simples récoltés le plus souvent par des sorcières, on ne se fait aucun scrupule de le battre, de le torturer, afin de contraindre à déguerpir les démons qui ont pris possession de son corps. Au besoin même, on l’enferme, chargé de chaînes, en de noirs cachots, les pouvoirs publics n’ayant d’autre souci que de protéger l’ordre contre ce lépreux moral, contre ce maudit ensorcelé. Heureux encore quand on se contente de lui attacher une clochette au cou, comme au bétail ! Ainsi faisait-on en Suisse pour les idiots complets (les bienheureux), que les parens laissaient vagabonder. Heureux quand on lui permet d’aller implorer sa guérison dans des pèlerinages, auprès des sanctuaires vénérés auxquels la piété populaire attribuait cette puissance ! Dans son remarquable travail, M. le docteur Foville rapporte qu’à l’ancien hôpital de Bethléem, à Londres, les lunatics demeuraient exposés en spectacle pour la somme de quatre sous, et que cette redevance honteuse procurait un revenu annuel de 10,000 francs.

Cependant la question a préoccupé les pouvoirs publics anglais ; mais le parlement, qui déjà peut tout faire, s’est borné à voter en 1744 une loi de police destinée à sauvegarder la sécurité générale, sans améliorer le sort de ceux qu’on s’obstine à considérer comme des coupables, non comme des malades. Bills, enquêtes, intervention de Pitt, de Fox, de Howard, tout demeure inutile, jusqu’à ce qu’un simple citoyen de la ville d’York, le quaker William Tuke, ému de tant d’injustice, prenne l’initiative d’une croisade de bienfaisance et, secondé par ses coreligionnaires, fonde le premier asile véritablement humain. La première pierre fut posée en 1792, et, quelques années après, un médecin suisse écrivait aux rédacteurs de la Bibliothèque britannique : « Cette maison est située à un mille d’York, au milieu d’une campagne fertile et vaste ; ce n’est pas l’idée d’une prison qu’elle éveille, mais plutôt celle d’une grande ferme rustique ; elle est entourée d’un jardin : point de barreaux, point de grillages aux fenêtres. » L’impulsion était donnée : cédant à la contagion du bien, parfois aussi puissante que la contagion du mal, les particuliers, l’état, célèbrent la Retraite d’York comme l’établissement modèle qui doit servir de point de départ à toutes les améliorations : lois, enquêtes se succèdent presque sans relâche, entraînant d’importantes réformes qui ont trouvé leur principale expression dans deux bills de 1845 et de 1853. De cette époque date la création du conseil supérieur des aliénés (Board of Commissioners in Lunacy),

  1. Sur l’aliénation mentale en Égypte, en Grèce, à Rome, on lira avec fruit les Études historiques du docteur Semelaigne.