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et annoncent déjà le délicieux poète d’Amphitryon. Trois ans après, dans Mélicerte, il traite le même sujet par allusion et, faisant parler un berger de pastorale héroïque, il mêle heureusement l’aisance familière et l’admiration respectueuse dans un brillant couplet. Le poème sur la grande fresque de son ami Mignard, la Gloire du Val-de-Grâce, honorée d’une visite royale, lui permet de vanter, chez leur maître commun, « ce goût délicat, qui décide sans erreur et loue avec prudence. » Tout cela n’est plus flatterie, mais l’expression de la vérité même. Il n’y a pour contrôler Molière qu’à consulter Saint-Simon, qui connut, non pas la radieuse jeunesse de Louis XIV, mais sa maturité déjà sombre et sa vieillesse attristée. Chez l’un et chez l’autre, ce sont les mêmes éloges de la haute mine et du grand air du roi, de son bon sens, de sa justesse d’expression dans l’éloge, avec cette seule différence que, le charme souverain auquel Molière s’abandonne, Saint-Simon le subit avec mauvaise humeur.

Sur son rôle auprès de ce maître si majestueux, à la fois, et si aimable, et sa place dans cette cour, Molière nous donne encore des renseignemens très précis. A la façon dont il parle de lui-même, il se montre exempt de toute mauvaise humeur ; rien, chez lui, de cette aigreur de déclassé que La Bruyère sera le premier, au XVIIe siècle, à ressentir et à exprimer. Nous voudrions même parfois lui voir un peu moins de satisfaction, comme dans ce rôle du « plaisant » Clitidas, des Amans magnifiques, où il semble bien, selon la remarque de M. Paul Mesnard, s’être représenté de parti-pris. Une querelle avec un envieux, l’astrologue Anaxarque, lui permet de définir les droits, les limites, les dangers de son emploi : « Avec tout le respect, madame, que je vous dois, dit Anaxarque à la princesse Aristione, il y a une chose qui est fâcheuse dans votre cour, que tout le monde y prenne la liberté de parler, et que le plus honnête homme y soit exposé aux railleries du premier méchant plaisant. » Clitidas relève le trait et le retourne contre celui qui l’a lancé : « Vous en parlez bien à votre aise, et le métier de plaisant n’est pas comme celui d’astrologue. Bien mentir et bien plaisanter sont deux choses bien différentes, et il est bien plus facile de tromper les gens que de les faire rire. » Mais, comme s’il craignait d’en avoir trop dit, il s’avertit lui-même sur les dangers de la franchise, et se rappelle au sentiment de sa situation : « Paix ! impertinent que vous êtes. Ne savez-vous pas bien que l’astrologie est une affaire d’état, et qu’il ne faut point toucher à cette corde-là? Je vous l’ai dit plus d’une fois, vous vous émancipez trop, et vous prenez de certaines libertés qui vous joueront un mauvais tour ; je vous en avertis : vous verrez qu’un de ces jours on vous donnera du pied au c.., et qu’on vous