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le fanatisme parlementaire a parfois de pires effets que le fanatisme absolutiste, et, à la loi qui me perd ou tarde trop à venir, je préfère le décret qui me sauve rapidement, n’eût-il pour lui que le suffrage d’un conseil d’état ou des hommes compétens. Plusieurs états germaniques ont de bons règlemens, des établissemens considérables, qui, par l’originalité du détail, le confort et la tenue, pourraient presque disputer la palme aux asiles anglais. Voici l’ordonnance royale de 1874 qui régit les diverses provinces de la monarchie autrichienne, à l’exception de la Hongrie, et renferme mainte disposition satisfaisante : la création d’un asile dépend des autorités politiques de la province, mais l’autorisation ne s’accorde point s’il n’est placé sous la direction d’un médecin seul responsable qui ait fourni en psychiatrie des témoignages de son aptitude théorique et pratique. Le fondateur prouvera que les bâtimens sont situés dans un pays sain, avec des eaux bonnes et abondantes, que les environs sont calmes, sans cause de trouble pour les aliénés, qu’il existe un espace suffisant pour permettre la séparation des hommes et des femmes, des malades et des récalcitrans, ainsi que le traitement spécial des malades dans une infirmerie. » Point d’admission volontaire sans le certificat d’un médecin habitant la commune ou le cercle ; pour les internés d’office, le certificat émane d’un médecin commis à cet effet par les autorités. Dans les trois semaines qui suivent le placement, l’aliéné est soumis à l’examen d’une commission composée d’un conseiller et de deux médecins de la cour d’assises. Depuis longtemps déjà les aliénistes autrichiens, à leur tête les docteurs Ludwig Schlager et Leidesdorf, réclament une législation spéciale qui s’occupe des aliénés criminels, organise plus solidement le contrôle de l’état et de l’administration des biens ; mais, jusqu’à présent, le gouvernement se montre peu disposé à entrer dans cette voie et parait trouver que les lois civiles et pénales actuelles suffisent à sauvegarder les intérêts des malades et écarter les abus[1].

  1. Les Annales médico-psychologiques (année 1884) contiennent une étude du docteur Roy sur les asiles de l’Autriche-Hongrie et de la Bavière. On a constaté que le traitement des fous dans les asiles de Constantinople commence à se rapprocher de celui de nos aliénés ; il n’existe pas en Turquie de loi spéciale sur les admissions, qui n’exigent que quelques formalités très courtes ; les Turcs ne séquestrent que les fous dangereux et pensent que la médecine n’est pas compétente pour soigner les maladies mentales. Le docteur Davidson, qui visita, en 1879, l’asile de Constantinople, y trouva environ 300 hommes et 74 femmes seulement ; ce chiffre restreint s’explique par les scrupules religieux qui détournent les Turcs d’envoyer leurs femmes dans une maison d’aliénés ; au milieu de la cour, on remarque une fontaine affectée aux ablutions des musulmans ; le terrain est très limité, et la plupart des malades se livrent aux douceurs du narghilé et du far niente. Le nombre des aliénés semble augmenter dans l’empire ottoman, et, parmi les causes de cet accroissement, on range les abus vénériens et alcooliques, l’opium, la syphilis et la tuberculose. — La Chine n’a pas d’asiles d’aliénés, le nombre des fous y est assez rare ; le docteur Ernest Martin affirme que ce phénomène s’explique par la fixité de la constitution politique, l’absence de luttes religieuses, la sobriété de ce peuple, son caractère doux, placide, son bon sens et sa philosophie. Les exemples de folie que l’on y rencontre ont pour causes l’alcool, l’opium, et ne se voient guère en dehors des ports de commerce ; les hôpitaux de mission reçoivent tous les ans des fous. D’ailleurs les moralistes chinois n’ont point recherché les rapports de la démence et de la criminalité ; en présence d’un cas d’aliénation mentale, la justice n’intervient pas et la responsabilité des conséquences incombe tout entière à la famille. Les inoffensifs sont laissés libres dans la campagne, loin des villes, et, quant aux maniaques, on les traite par les menottes de fer, on les garrotte comme des bêtes, jusqu’à ce que l’attaque cède ou que la nature succombe.