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Un peu avant de tenter le coup suprême d’Amphitryon, dit-il, Molière cousit à Tartufe, « complet en trois actes et plus fort ainsi, deux actes qui font une autre pièce pour l’apothéose du roi. » Ceci est encore en contradiction avec les dates et les faits : le 12 mai 1664, Molière jouait les trois premiers actes de Tartufe devant le roi, et, le 29 novembre suivant, la pièce « parfaite, entière et achevée en cinq actes,» était représentée devant Condé. Ce ne fut donc pas à la suite d’une longue résistance et pour la vaincre par la flatterie que Molière fabriqua deux actes postiches. D’autre part, dire que la pièce est complète et plus forte en trois actes, c’est supposer pour les besoins de la cause un Tartufe tout différent de celui que nous connaissons. Dans celui-ci, rien n’est terminé à la fin du troisième acte ; tout commence, au contraire, car, jusqu’ici, le nœud de l’action est à peine indiqué par la déclaration de Tartufe à Elmire ; le caractère du héros principal reste à moitié dans l’ombre,; on n’a eu ni la scène de Cléante et de Tartufe, ni celle de Tartufe, Elmire et Orgon, qui amène la plus hardie des situations et le plus fort des coups de théâtre. Quant au dénoûment, s’il est tout à la gloire de Louis XIV, en quoi la flatterie y est-elle si grosse? Le roi était-il donc incapable d’une intervention pareille, et, lui montrer la confiance que l’on avait en sa haute justice, n’était-ce pas lui donner un conseil d’équité? Sans doute la donation faite par Orgon à Tartufe ne saurait être prise au sérieux ; mais si elle amène en partie le dénoûment, elle n’est pas seule à rendre indispensable l’intervention du roi : il y a aussi la trahison, autrement grave, de Tartufe livrant les papiers d’un criminel d’état ami d’Orgon ; un acte de clémence royale pouvait seul en détruire l’effet. La venue de l’exempt est donc justifiée, car, sans lui, la situation est sans issue. Quant à l’éloge de Louis XIV, qu’on l’examine en détail, et l’on verra qu’à cette époque chacun des vers qui le composent était une vérité.


V.

Il n’y eut donc, dans les éloges de Louis XIV faits par Molière, qu’imitation nécessaire d’un usage universel, expression de sentimens sincères, moyens scéniques à la fois très naturels et très forts. Admettons, cependant, que le poète y ait un peu plus abondé que ne l’exigeaient la reconnaissance et les besoins de sa comédie. Ce n’était pas acheter trop cher les avantages que lui valait la faveur royale. Je me suis efforcé de montrer qu’en adoptant Molière dès le premier jour, Louis XIV l’imposait à ses contemporains, et