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Jusqu’où la Russie pourrait-elle aller dans ses interventions militaires et ses projets d’occupation de la Bulgarie sans exciter trop de défiances, sans risquer de se heurter contre des politiques rivales ? Quelles sont d’un autre côté les intentions des puissances qui, sans être des ennemies pour la Russie, ont, elles aussi, des traditions et des intérêts en Orient ? C’est la question qui se débat un peu partout, peut-être particulièrement à l’heure qu’il est entre Berlin, Vienne et Londres. Il reste à savoir ce qui sortira de cet imbroglio jusqu’ici assez obscur, où les divers gouvernemens de l’Europe ont leur action, où l’Angleterre elle-même a l’air de vouloir entrer par la mission mystérieuse que lord Randolph Churchill remplit depuis quelques jours en Allemagne.

Tout le monde est à l’œuvre, cela se sent bien. Au fond, il y a un assez grand embarras, une certaine crainte de s’engager ou de se dévoiler, c’est encore plus visible, — et les explications récemment données, soit par le chef du cabinet hongrois au parlement de Pesth, soit par lord Randolph Churchill dans une réunion à Dartford.ne sont point assurément de nature à jeter un jour bien vif sur la conduite que l’Autriche et l’Angleterre se proposent de suivre. L’Autriche, pour sa part, se sent, on le comprend, dans une situation difficile et épineuse. Il n’est point douteux qu’avec ses traditions et ses intérêts elle doit voir d’un regard inquiet le retour offensif des Russes dans les Balkans, leurs menaces d’intervention armée ; elle est profondément intéressée à ne pas voir s’établir à titre permanent une prépondérance ennemie dans cette partie de l’Orient. Elle ne veut pas, d’un autre côté, se séparer de l’Allemagne dont l’appui la rassure et la retient ; elle ne veut pas ou elle ne peut pas non plus se déclarer trop ouvertement contre la Russie dont elle est la semi-alliée sous les auspices de l’empereur Guillaume. Elle évite tout ce qui pourrait la compromettre, et le discours qu’a prononcé le chef du ministère hongrois en réponse à des interpellations pressantes ne sort pas de cette réserve que le cabinet de Vienne se croit obligé de garder dans sa diplomatie. M. Tisza s’est borné en définitive à des déclarations passablement vagues, à un témoignage d’intérêt assez platonique pour l’indépendance des états des Balkans ; il s’est contenté de dire, pour rassurer son parlement, qu’un protectorat exclusif en Bulgarie n’était pas admis par les traités, que la paix de Berlin, en dépit des quelques violations qu’elle avait subies, restait la loi des nations et qu’aucun gouvernement n’avait manifesté jusqu’ici une opinion contraire, que tout ce qui serait en dehors du traité de Berlin ne pourrait être fait que par l’accord de toutes les puissances. C’est un manifeste correct et inoffensif qui ne compromettra sûrement pas la politique autrichienne. L’Angleterre de son côté, il faut l’avouer, ne parait guère plus entreprenante, et lord Randolph Churchill, avec ses airs d’enfant terrible, n’en a pas