Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/114

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

familles. Or elle méritera surtout cette confiance si elle offre une image exacte de la patrie tout entière, avec toute l’opposition de sentimens et d’idées qui règne entre les familles elles-mêmes, et si, en même temps, par le rapprochement d’une vie commune, par des maîtres communs, elle contribue à faire germer et à développer cet esprit de « charité civile » où M. Cousin voyait, avec raison, l’expression la plus pure du patriotisme.


V.

Les programmes officiels de l’enseignement philosophique, tel que nous l’avons défini, ne peuvent être que des cadres d’études appropriés aux divers degrés d’enseignement. Pour l’enseignement supérieur, ces cadres sont extrêmement larges. Le professeur a toute liberté d’étendre ou de restreindre l’objet de ses études dans les limites marquées par le titre de sa chaire. Ce titre seul est tout son programme. Dans un rapport à la Société d’enseignement supérieur, un des représentans les plus distingués de la jeune génération philosophique, M. Emile Boutroux, maître de conférences à l’École normale, distribue en quatre chaires magistrales les cadres nécessaires que devrait comprendre l’enseignement de la philosophie dans les facultés des lettres : deux chaires pour l’histoire de la philosophie, deux chaires pour la philosophie dogmatique. Cet idéal est loin d’être réalisé, même à Paris, où la philosophie dogmatique n’a qu’un seul professeur ; mais, quel que soit le nombre des chaires, les grandes divisions de l’enseignement philosophique dans nos facultés sont bien celles qu’a tracées M. Boutroux.

Si l’état s’interdit d’avoir une doctrine propre, s’il se propose surtout, en instituant un enseignement philosophique, d’initier les jeunes générations à tous les grands problèmes qui ont divisé les penseurs de tous les temps, il est naturel qu’il imprime à cet enseignement un caractère éminemment historique. L’histoire des doctrines doit tenir une grande place dans la philosophie dogmatique elle-même. Elle sera même, sur certaines questions, toute la philosophie dogmatique, lorsque le professeur, par respect pour la conscience de ses élèves et pour les devoirs de l’état envers la foi religieuse, s’abstiendra d’exposer son opinion personnelle. Résumer, sur chaque question, ce qu’ont pensé les plus grands esprits est un des objets les moins contestables d’un enseignement élevé et libéral. Bossuet entendait ainsi la part de la philosophie dans l’instruction du dauphin. Il voyait, dans la connaissance historique des choses « qui ne sont que d’opinion et dont on dispute, » une