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Voilà, disent-ils, le seul tribunal vraiment indiqué : il réunit tous les avantages, toutes les compétences, et il a l’avantage d’être secret.

La commission du sénat a tranché dans le vif; sans s’arrêter à ces objections, elle assimile aux placemens des particuliers les placemens d’office qu’elle subordonne à la décision de la chambre du conseil. Elle va plus loin : dans chaque département elle crée une commission permanente chargée de veiller sur la personne et les biens des aliénés, d’organiser le patronage des indigens, d’éclairer la justice et l’administration ; elle réorganise l’inspection générale et institue un conseil supérieur qui, siégeant à Paris, à côté du ministre, devra assurer l’unité de direction, centraliser les travaux des commissions départementales, présenter chaque année un compte-rendu officiel et public.

Un homme d’une rare compétence, M. de Crisenoy[1], ancien directeur de l’administration départementale et communale, désireux d’établir ces diverses institutions sur de larges bases, propose de leur donner un caractère indépendant et autonome; à l’instar de l’Angleterre, son conseil supérieur est une véritable cour de magistrats inamovibles, avançant hiérarchiquement; sa commission départementale, « une magistrature sui generis, » armée des droits les plus étendus pour contrôler les admissions, maintenues et sorties, procéder à des enquêtes, exercer des poursuites contre les auteurs d’actes de négligence ou de brutalité. Les membres du conseil supérieur et les administrateurs des biens des aliénés recevraient des traitemens fixes, des frais de tournée, les membres ordinaires toucheraient des jetons de présence et des frais de vacations. M. Roussel et ses collègues n’ont pas osé s’associer à cette raisonnable audace, ils ont craint « de bouleverser, par une sorte de révolution, les règles traditionnelles de notre droit public. » Comme si ces fameuses règles traditionnelles n’avaient pas reçu de fréquentes et plus rudes atteintes ! Tant de circonspection, tant de pruderie peuvent étonner de la part d’hommes qui ont assisté à de véritables révolutions, vu disperser, comme des fétus de paille, nos luis fondamentales, aux quatre coins de l’horizon. L’esprit de routine a de ces retours dans les meilleures intelligences. Et cependant la force des choses les conduisait aux mêmes conclusions que M. de Crisenoy, mais, cherchant un compromis entre l’expérience acquise et le fétichisme administratif, effrayés de leur propre témérité, ils accordent au conseil supérieur, aux commissions départementales des attributions réduites, une moindre autonomie ; dans celles-ci, d’ailleurs, à côté du président du tribunal, du conseiller

  1. M. de Crisenoy, la Loi et les Aliènes ; Mémoire.