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décrit longuement le type criminel[1] facilement reconnaissante aux traits suivans : front fuyant, étroit, plissé, arcades sourcilières saillantes, cavités oculaires grandes comme chez les oiseaux de proie, oreilles larges, écartées en anse, lésions du cerveau, vanité excessive, gourmandise, faible aptitude à souffrir physiquement. à compatir et à aimer, inintelligence et ruse ; il admet une identité fondamentale entre l’épilepsie, la folie morale et la criminalité héréditaire. Le fou n’est pas supra-social en quelque sorte comme l’homme de génie, il n’est qu’extra-social ; le criminel, lui, est anti-social ; chez le fou, l’accomplissement même de l’acte délictueux est le but; chez le criminel, ce n’est qu’un moyen d’obtenir un autre avantage. Et quant à la demi-folie, c’est comme le demi-délit ou la demi-laideur, le monde en est plein, la majorité en est faite : c’est la folie complète qui est l’exception. De même que la folie est un fruit de la civilisation, de même le crime croît en habileté avec chaque progrès des arts et des sciences; le savoir est un pouvoir, mais il n’est pas la vertu, il est aussi apte à servir le mal que le bien. Aux yeux de Lombroso[2], le criminel est un demi-fou, mattoïdo. Mais comment ce savant peut-il parler du type criminel lorsque, d’après lui-même, 60 criminels sur 100 n’en présentent nullement les caractères? M. Tarde, qui l’a brillamment réfuté, démontre que le crime n’a pas été placé, « dès l’origine, à la manière de l’amour, pour parler comme un chœur antique, parmi les forces éternelles et divines qui meuvent ce monde, » que son origine est historique avant tout et son explication sociale.

Maudsley semble admettre quelques tempéramens à sa doctrine : il convient qu’un fou n’est pas exempt de mauvaises passions et peut agir criminellement par jalousie, cupidité ou vengeance. Est-il juste qu’il échappe au châtiment lorsque cette passion impulsive est indépendante du trouble mental? Cet aliéniste ne veut pas qu’on lui inflige la peine de mort, mais il ne répugne pas absolument à l’application d’autres peines et reconnaît que, dans une certaine mesure, les malades d’un asile sont détournés de mal faire par la

  1. Cesare Lombroso, l’Uomo delinquente, 1884. — R. Garofalo, Criminologia. — Ferri, Nuovi Orizzonti del diritto, Bologne, 1884. M. Sergi, professeur d’anthropologie à l’université de Rome, ne se contente plus de l’atavisme humain, il invoque un certain atavisme préhumain, sorte de survivance des espèces inférieures. «L’important, a répliqué le docteur Lacassagne, c’est le milieu social; le milieu social est le bouillon de culture de la criminalité ; le microbe, c’est le criminel, un élément qui n’a d’importance que le jour où il trouve le bouillon qui le fait fermenter... Les sociétés ont les criminels qu’elles méritent.» (Congrès d’anthropologie criminelle de Rome, 1886.)
  2. Lombroso étudie aussi le crime chez les plantes, les animaux et s’efforce de démontrer que même les espèces d’ordinaire dociles, comme le cheval, deviennent criminelles sous l’influence d’anomalies crâniennes.