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présente plus de signes d’aliénation ; et l’on voit sortir de l’asile, après une déclaration de guérison, des alcooliques tels que l’assassin du docteur Bochard, et l’Allemand Altschuler, qui déchargea son revolver sur les passans en plein boulevard des Italiens[1]. Ils rentrent dans le milieu et reprennent les habitudes sous l’influence desquelles les actes criminels sont accomplis. On cite un individu qui. sous l’empire d’accès périodiques de folie, commettait des escroqueries, passait en jugement, entrait dans un asile, puis était relâché après la crise, comme pour lui permettre de satisfaire de nouveau sa monomanie. Aussi Esquirol et beaucoup d’aliénistes pensent-ils que tout aliéné qui a commis un crime reste incurable, toujours dangereux, et qu’il n’y a pas de cas plus difficile que la démence greffée sur la perversité.

Commissions, réunions scientifiques, congrès, magistrats, administrateurs, tous à l’envi affirment la nécessité d’introduire de nouvelles prescriptions trop justifiées par de retentissantes catastrophes, par des meurtres nombreux commis à la suite d’élargissemens prématurés. Chacun a apporté son remède, chacun sa formule. Faut-il s’en rapporter à l’autorité administrative ou lui substituer le pouvoir judiciaire ? Convient-il d’investir le ministère public ou la juridiction répressive elle-même ? Lorsque l’inculpé passe en cour d’assises, appellera-t-on le jury à décider, si oui ou non, il jouissait de sa liberté d’esprit au moment du crime ? La commission sénatoriale tient pour l’autorité administrative, mais on peut se demander si ce système ne provoquera pas des dissentimens entre la justice et l’administration. À quoi bon multiplier les rouages, le frottemens ? Beaucoup de magistrats veulent que le jury ait le droit de statuer sur la démence. La question est posée au jury partout où il existe : en Angleterre, en Bavière, en Autriche, en Russie, aux États-Unis. En Italie, le jury prononce même sur l’intensité de la folie, car le nouveau code admet des demi-responsabilités comme il y a des demi-intelligences. En fait, nos jurés ne tranchent-ils pas

  1. Il règne de grandes divergences entre les peuples européens au sujet de l’ivrognerie. Les uns admettent qu’elle sert d’excuse au crime, les autres estiment qu’elle l’aggrave, parce que le délire a lieu sous l’influence d’une cause volontaire ; plusieurs ne se contentent pas de punir le délit, mais aussi le vice d’ivrognerie, le fait d’avoir bu, la folie blanche ou rouge, comme disait Henri Heine : ebrius punitur propter ebrietatem. Véritable enfance de la démence, l’ivresse est, d’après notre cour de cassation, un fait volontaire et répréhensible, qui peut donner lieu à diverses interprétations. Tous d’ailleurs, législateurs, économistes, médecins, s’accordent à déplorer les progrès effroyables de ce mal dont nos pères signalaient déjà les funestes effets. De vingt bandits ou routiers, dix-neuf se sont formés au cabaret, disait un échevin de Rouen en 1349, et le bon Amyot émettait cet axiome si véridique : l’ivrogne n’engendre rien qui vaille. » Ses enfans sont bien plus exposés que d’autres à l’idiotie, au crime, à l’échafaud.