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intéressées ne justifient qu’il les a accomplis pendant un intervalle lucide. Le médecin le plus habile, le plus actif ne réussit pas toujours à empêcher que des relations s’établissent avec des étrangers, des visiteurs, des domestiques, et ces rapports peuvent aboutir à compromettre la fortune du malade, à dépouiller ses héritiers.

La loi anglaise édicte des pénalités sévères contre tout directeur, médecin, infirmier, qui néglige, maltraite un aliénée la loi française se borne à punir certaines contraventions, sans rien changer au code pénal pour les crimes de séquestration, les attentats à la liberté individuelle ; elle ne prononce pas de peines particulières au personnel infirmier; ses sanctions pénales supposent toujours la bonne foi des chefs d’établissement, l’impossibilité d’une mesure arbitraire. Nous avons certes accompli de grands progrès depuis le temps où une circulaire ministérielle 1819 interdisait aux gardiens des aliénés d’être « armés de bâtons, de nerfs de bœuf, de trousseaux de clés, ou accompagnés de chiens, » mais il reste terriblement à faire. Le nombre des gardiens est insuffisant : à Dobrau, eu Bohême, ils sont dans la proportion de 1 pour 7 ou 8 malades, et ont l’excellente habitude de prendre part aux travaux des aliénés : à l’asile de Vienne, outre les surveillans et les dames de compagnie, le personnel subalterne se compose de 80 gardiens et 71 gardiennes pour 741 malades ; en France, certains de nos asiles n’ont qu’un gardien pour 20 ou 25 malades. Mal payés, recrutés d’ordinaire parmi les gens qui n’ont point trouvé d’autre moyen d’existence, comment acquerraient-ils la patience, le sang-froid, le dévoûment nécessaires dans une mission aussi triste que pénible? Aussi M. de Crisenoy signale-t-il avec instance le défaut de répression des actes de négligence ou de brutalité. On serait, dit-il, tenté de croire que ces actes ne sont que trop fréquens, si l’on en juge par ceux que le hasard révèle de temps en temps ; les auteurs sont rarement poursuivis parce que les directeurs redoutent de donner à des faits irréparables un éclat, une publicité, qui rejailliraient sur eux-mêmes; on se borne à renvoyer les coupables. « Les victimes sont des fous qui se plaignent toujours, et si souvent sans motifs, qu’on hésite à ajouter foi à leurs allégations; ce sujet forme un des chapitres les plus douloureux de l’aliénation mentale. » M. Salverte ne prophétisait que trop vrai, en 1838 : « Quelque plainte qu’élève l’aliéné, toujours la prévention est contre lui. Il montrera des blessures, des cicatrices, on dira qu’elles sont le fait d’une rixe avec ses compagnons de malheur, on dira qu’il s’est blessé lui-même ; il faudra qu’il ait mille fois raison de se plaindre pour qu’on daigne une fois examiner si,