Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/177

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Sutter. L’établissement, au cœur même de la Californie, d’un camp d’Américains, solidement assis sur les rives du Sacramento, en communication par le fleuve avec la mer, en possession d’un fort, difficile d’accès par terre et commandé par un homme résolu dont on connaissait l’influence sur les Indiens, n’était pas sans éveiller de sérieuses appréhensions. Dans l’espoir de se concilier Sutter, Michel Torrena, alors gouverneur de la Haute et de la Basse-Californie, lui conféra le grade de capitaine dans l’armée mexicaine, le titre d’alcade, et des pouvoirs civils d’autant plus étendus que l’autorité dont ils émanaient était elle-même plus éloignée et plus faible.

Sutter en usa loyalement, et, lorsqu’en 1844 les généraux mexicains Castro et Pio-Pico s’insurgèrent contre le gouvernement de Michel Torrena, ce dernier réclama son concours, et Sutter, à la tête de deux cents cavaliers, vint se ranger sous ses ordres. Il ne put toutefois empêcher que Castro ne réussît, par ses intrigues à Mexico, à supplanter son rival. Il regagna alors la Nouvelle-Helvétie, bien convaincu qu’il avait tout à redouter de Castro, que le gouvernement mexicain venait de nommer gouverneur. Il se tint sur ses gardes, organisa ses forces, approvisionna son fort, et attendit les événemens.

Il n’attendit pas longtemps. La guerre éclata entre les États-Unis et le Mexique. Castro invita, par une proclamation, les étrangers à évacuer la Nouvelle-Helvétie. Pas un n’obéit. À ce moment même, le colonel Fremont arrivait au fort Sutter à la tête d’une colonne d’exploration, à court de vivres et de munitions, épuisée de fatigues, et hors d’état de pousser plus avant. Parti des États-Unis bien avant l’ouverture des hostilités, le colonel Fremont avait été chargé par le gouvernement américain d’étudier le territoire inconnu qui s’étendait du Missouri à l’Océan-Pacifique. Ce ne fut qu’en arrivant au fort qu’il apprit les événemens. Sutter accueillit avec sa générosité habituelle le colonel Frémont et ses hommes ; il improvisa immédiatement un hôpital pour les malades, distribua des vivres, des effets et des munitions à tous. En peu de jours, l’expédition ravitaillée était à même de poursuivre sa route. Mais Fremont redoutait de compromettre les résultats scientifiques de sa mission. Il s’en ouvrit à Sutter, et tous deux se décidèrent à une mesure hardie. Le pavillon américain fut hissé sur le fort ; les hommes de Fremont, joints aux contingens dont disposait Sutter, permettaient de tenir tête à Castro. Le fort était bien approvisionné ; de hardis vaqueros tenaient la campagne, surveillant le bétail, la carabine au poing, prêts à se replier et à donner l’alarme en cas d’attaque. Les Indiens, bien nourris et bien traités, espionnaient de leur côté les forces mexicaines et les harcelaient sans relâche. Quand, quelques mois plus tard, le général Kearney, à la tête d’une