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la Russie, du Portugal et de l’Espagne. On ne doutait pas de celle de la Prusse, et encore moins de celle de l’Italie. Le cabinet de Florence ne nous avait-il pas suggéré l’idée d’en appeler aux puissances? Et le cabinet de Berlin n’avait-il pas approuvé notre intervention? M. de Goltz, toujours tenté de prendre le contre-pied de la politique de son ministre, et M. Nigra, souvent enclin à confondre ses sentimens personnels avec les dispositions de son gouvernement, nous autorisaient à croire, par leur langage, que leurs cours étaient ralliées à nos vues. C’était une erreur. En réalité, personne en Europe n’avait envie de se compromettre dans les affaires italiennes pour nous être secourable. Notre invitation ne flattait que les états secondaires, auxquelles nous offrions l’occasion rare de siéger, à côté des grandes puissances, dans un aréopage européen. M. Benedetti s’aperçut, dès ses premiers entretiens, que, si le chancelier avait évité de s’immiscer dans nos démêlés avec l’Italie, il était tout aussi décidé à ne se prêter à aucun acte qui serait de nature à nous faciliter l’évacuation du territoire romain.

M. de Bismarck était un logicien d’une rare fécondité, il savait rehausser ses argumens par des images pittoresques, sarcastiques. Les raisons qu’il invoquait étaient souvent spécieuses, car les causes qu’il défendait ne s’appuyaient pas toujours sur la justice et le bon droit. Mais, cette fois, il avait pour lui le bon sens et l’équité. Nous lui demandions de nous aider à réparer nos fautes, à nous dégager d’une inextricable aventure, pour nous permettre, une fois libres de nos mouvemens, d’entraver l’œuvre qu’il poursuivait en Allemagne. Nous lui demandions, sans rien lui offrir en échange, si ce n’est une reconnaissance éphémère, de s’immiscer dans une affaire scabreuse, insoluble, qui l’exposerait à mécontenter à la fois les catholiques et les protestans allemands, et à se brouiller, suivant le parti qu’il prendrait, soit avec le chef de l’église, soit avec l’Italie.

Aussi disait-il à notre ambassadeur, pour sa bienvenue, avec une désespérante franchise, que, certain de l’inanité de notre tentative, il n’avait pas encore jugé à propos de prendre les ordres du roi et que la France ferait bien de renoncer à un projet « frappé d’avance de stérilité. « Il était convaincu que nous nous bercions d’illusions, que nous n’obtiendrions pas l’assentiment de toutes les puissances. Il trouvait superflu de convoquer une conférence qui ne servirait qu’à démontrer l’impuissance de l’Europe à concilier des prétentions inconciliables. Il pensait que le meilleur gage de sécurité que nous puissions offrir au pape, c’était de rester à Civita-Vecchia, que cela nous permettrait de gagner du temps, et que le temps était l’unique négociateur dont il fallait attendre les solutions que nous voulions hâtivement et inopportunément provoquer. Il estimait,