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l’a télégraphié aussitôt à Pétersbourg. Cependant Talleyrand m’écrit : « On annonce que l’Italie accepte la conférence sans la condition d’un programme ; mais son envoyé auprès de la cour de Russie proteste, il dit qu’il n’en est rien. Quelle est la vérité ? » De son côté, Goltz me dit qu’il ne comprend plus rien au langage des agens italiens, qui semblent changer d’avis trois fois par jour. Il paraît qu’après avoir combattu à Berlin la conférence, on s’y est montré ensuite très favorable, et que maintenant on ne veut plus l’accepter que sous réserves. Goltz s’étonne qu’on ne m’ait pas fait connaître les conditions, qui seraient au nombre de huit. Je ne sais vraiment que penser de cet imbroglio. Je croyais, d’après le langage de Nigra, qu’à Florence on était résolu à marcher avec nous sur le terrain d’une confiance réciproque. »

Ces incessantes variations donnaient à réfléchir. Le rôle de M. Nigra devenait embarrassant; il se trouvait dans la situation du chancelier de la reine Elisabeth qui, sans ordres formels, se demandait, indécis et perplexe, s’il devait oui ou non procéder à l’exécution de Marie Stuart. Les équivoques ne pouvaient se perpétuer. Il fallait s’expliquer et reconnaître officiellement que les dispositions à Florence, si chaleureuses au début, s’étaient modifiées avec les circonstances et qu’en raison du peu de sympathie que les puissances marquaient pour le congrès, les agens du roi avaient reçu l’ordre de se tenir sur la réserve, tant que l’Italie et la France ne se seraient pas mises d’accord.

« Je crois que vous ne vous faites aucune illusion, écrivait M. de Moustier à M. Nigra, en réponse à sa lettre, sur la surprise et le sentiment pénible que devait nous causer votre communication. Je m’attendais à une attitude absolument contraire à celle qui, pour la première fois, nous est révélée. »

La réplique était imméritée. M. Nigra aimait la France, il s’efforçait de concilier nos intérêts avec ceux de l’Italie, et à maintenir intacte l’alliance de 1859. Mais peut-être eût-il mieux valu pour notre politique, si sujette aux illusions, que le représentant de Victor-Emmanuel à Paris eût moins de sympathies pour notre pays, qu’il fût moins intime à la cour, et surtout moins familier au Palais-Royal. Elle n’eût pas confondu les sentimens personnels de l’agent, qui étaient sincères, avec les tendances secrètes de son gouvernement ; elle se serait gardée contre les surprises et les entraînemens, elle n’eût pas si souvent subordonné l’intérêt français à l’intérêt italien. M. Nigra représentait l’Italie correcte reconnaissante ; il nous masquait, par le charme de sa personne et la loyauté de ses protestations, l’Italie qu’on ne voit pas, avec ses ambitions cachées, impatiente de secouer notre tutelle et de faire prévaloir ses tendances aux dépens des nôtres. L’envoyé du roi