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ne prenait plus le mot d’ordre à Paris, déjà elle réglait sa montre sur Berlin. Il était dur de le reconnaître, mais c’était la moralité de toutes les correspondances qui arrivaient au ministère des affaires étrangères.


V. — M. THIERS ET M. ROCHER AU CORPS LÉGISLATIF.

L’opinion en France s’impatientait, elle avait cru, sur la foi du discours impérial et des journaux officieux, que les puissances étaient d’accord, que la réunion d’un congrès était certaine, que le rappel de nos troupes était imminent, et l’on s’apercevait au langage de la presse étrangère que les négociations traînaient et se heurtaient contre d’invincibles obstacles. Les chambres étaient réunies, l’opposition avait la partie belle, elle allait mettre l’empire sur la sellette et l’accabler d’amères récriminations. M. Thiers ne pouvait manquer l’occasion qui s’offrait à lui de faire le procès au gouvernement et de s’adresser aux passions du pays. Son patriotisme était grand, mais il n’était pas toujours exempt de préoccupations personnelles. Il révélait avec une merveilleuse lucidité les erreurs de notre politique et il en déduisait avec une inflexible logique les désastreuses conséquences. Ses conseils, malheureusement, au lieu d’être préventifs, n’arrivaient souvent qu’après coup, lorsque les erreurs commises étaient irrémédiables. On eût dit qu’il était moins préoccupé du désir d’éclairer le gouvernement que de la pensée d’aggraver ses fautes, de l’ébranler et de le pousser à sa perte.

Après avoir porté des coups mortels à la restauration et contribué à renverser la monarchie de juillet, il croyait bien servir son pays en faisant expier à l’empire ses origines, sans se préoccuper de la force que M. de Bismarck puiserait dans nos dissensions intérieures. Il est vrai que son patriotisme se réveilla ardent, sincère, après la catastrophe de Sedan. Il est des médecins qui attachent leur gloire à sauver les malades dont ils n’ont pas craint d’aggraver l’état. M. Thiers ne rendit pas moins à la France au lendemain de ses défaites d’inoubliables services : il la releva saignante, il libéra son territoire, il la réconcilia avec l’espérance. Mais l’histoire dira peut-être qu’il ne savait pas toujours faire à son pays, qu’il rêvait puissant et glorieux, le sacrifice de ses ressentimens. Déjà elle rappelle qu’en 1840, par ses défis à l’Europe, à propos du pacha d’Egypte, il a donné le branle aux passions germaniques et a été inconsciemment le promoteur de la politique des nationalités dont il signalait le danger, en 1867, de toutes les forces de son admirable éloquence.

Les discussions ouvertes au corps législatif sur la question romaine excitaient les esprits. Elles soulevaient à la fois les passions religieuses et les passions politiques ; les chambres donnaient à la