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à Genève, au soi-disant congrès de la paix, devait éclater d’abord dans les états romains pour se répercuter à Florence et à Paris.

Rappelé à la tribune par une perfide interpellation sur la portée de l’engagement qu’il venait de prendre, il aggrava ses déclarations en disant avec une netteté sans précédent dans les annales parlementaires : « Lorsque j’ai parlé de la capitale du territoire actuel, j’ai compris, dans la défense du pouvoir temporel du pape, le territoire actuel dans toute son intégrité. » — « Ce sont d’ineffaçables paroles ! » s’écria M. Berryer en prenant acte du commentaire que le ministre d’état venait de donner si imprudemment à son discours.

Il est des mots que les diplomates s’appliquent à bannir de leur langage: ce sont ceux qui engagent l’avenir. « l’avenir n’est à personne, l’avenir est à Dieu, » a dit le poète. M. Rouher pouvait-il savoir que jamais Rome ne serait à l’Italie? Le congrès de Vienne n’avait-il pas à jamais prononcé la déchéance des Bonaparte, et Napoléon III ne régnait-il pas aux Tuileries?

M. Rouher avait tiré plus haut qu’il ne visait. Pour éviter une interpellation incommode et prévenir un vote hostile, il avait commis une suprême imprudence, il avait brûlé ses vaisseaux ! Grisé par de frénétiques applaudissemens, il se croyait, en regagnant son banc, maître de la majorité, et il était son prisonnier : « Ce n’est pas le gouvernement, disait-on, qui tient la chambre, c’est la chambre qui tient le gouvernement. » A vrai dire, c’était M. Thiers qui triomphait ; il aurait dû prendre la place du ministre d’état et diriger, dans les conseils de l’empereur, notre politique extérieure.

Les trames de notre diplomatie étaient déchirées. La conférence était à vau-l’eau, elle n’avait plus de raison d’être ; pourquoi les puissances se seraient-elles préoccupées du sort de la papauté du moment que la France se chargeait de maintenir le pouvoir temporel et de tenir l’Italie à la distance de son épée ! Après le jamais de Rouher, Pie IX était maître de la politique française ; nous étions obligés de le défendre toutes les fois qu’on l’attaquerait ; le temps, le lieu, les circonstances ne nous appartenaient plus. La situation était nouvelle dans notre histoire : « l’empire clérical est fait, disaient les journaux libéraux. Il faut remonter jusqu’à Louis le Débonnaire pour retrouver une pareille prosternation devant le pape. Saint Louis et Louis XIV s’étaient bien gardés de contracter une de obligations absolues sans limite et sans échéance ; ils se préoccupaient moins de l’intégrité du pouvoir temporel que de leur indépendance vis-à-vis de l’église. »

La presse ultramontaine triomphait, elle ne dissimulait plus ses arrière-pensées. « Il ne suffit pas de garantir au pape son territoire actuel, disait M. Veuillot, il ne suffit pas de déclarer que nos