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modérément, dit-on, mais on pourra toujours augmenter le quantum. La modération est donc un mauvais argument. Il y a et il y aura toujours, en faveur de l’impôt proportionnel, à base réelle, une double raison de préférence. Premièrement, il est plus juste. Que peut-il y avoir d’arbitraire à demander à chacun selon ses facultés ? Si l’impôt représente d’abord les frais de garde des propriétés et des personnes, il y aurait même lieu de soutenir qu’il est plus avantageux au pauvre qu’au riche. On a fort judicieusement observé que les frais de garde ne sont pas plus grands à mesure que l’avoir s’étend. Celui qui a 100,000 francs de revenu ne coûte pas à l’état dix fois plus que celui qui en a 10,000. A parler en toute rigueur, le premier pourrait plutôt demander une diminution, comme celui qui, dans un magasin, achète plus, obtient une réduction en raison de l’étendue de ses commandes. C’est de même ce qui se pratique pour certains abonnemens, pour les assurances, etc. Quant aux avantages sociaux communs à tous, le pauvre en serait encore bien plus privé que le riche sans l’impôt. En second lieu, comment nier que l’impôt proportionnel, soit aux dépenses (taxes indirectes), soit aux biens, aux revenus, aux actes, a une base beaucoup moins capricieuse? Il ne s’agit plus d’un mètre de fantaisie sujet à se rétrécir et à s’étendre. Nul moyen d’en faire une sorte de lit de Procuste où un maître tyrannique jugera dans quelle mesure il convient de resserrer ou de distendre les membres du patient.

Nous touchons ici à une théorie très délicate, qui tend à prendre une place croissante dans les discussions de ce genre, et qui essaie même de faire figure dans la science. On l’appelle la « théorie de l’égalité des sacrifices, » et on entendrait la substituer à notre impôt proportionnel, ou, pour le moins, la lui donner comme un puissant correctif. Quelques écrivains allemands, et, en Angleterre, John Stuart Mill, se sont faits les organes et les défenseurs de cette théorie. Certes, l’autorité de M. Mill est imposante, et M. Léon Say y attache une légitime importance. Il s’en faut pourtant, à mon sens, qu’elle doive être reçue autrement que sous bénéfice d’inventaire. Tout n’est pas or dans le trésor d’idées que M. Mill nous a légué. J’oserai, en présence d’une admiration parfois un peu superstitieuse, faire mes réserves sur la confiance que mérite cet esprit, plus investigateur et plus puissant qu’il n’est sûr. Comment ne remarquerai-je pas que ce même économiste, qui exagère l’orthodoxie malthusienne jusqu’à vouloir mettre des conditions de fortune aux mariages, va, ce qui n’est plus même conforme aux données premières de l’économie politique, jusqu’à émettre des doutes sur l’avenir de la propriété et par le du communisme avec une complaisance