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que ratifiera difficilement l’esprit scientifique ? Quoi qu’il en soit, M. Mill admet l’égalité des sacrifices comme un des principaux facteurs de l’impôt. Voici la base du raisonnement : le sacrifice pèse plus sur les uns que sur les autres à inégalité de revenu. Ainsi, l’effort est plus grand pour en abandonner le vingtième, si l’on est pauvre, que le dixième ou le huitième, si l’on est riche. On donne ainsi à ces mots d’effort et de sacrifice une sorte de signification psychologique. C’est là une théorie d’impôts personnels au plus haut chef. C’est une idée vague, et le vague mène à l’arbitraire. Pour mesurer l’étendue relative des sacrifices de chacun, il faudrait presque établir autant de cas qu’il y a de personnes. Qu’il nous soit permis de chercher une comparaison dans la justice criminelle : sur cent individus condamnés à la même peine pour le même délit, il n’y en a pas deux peut-être qui. moralement, présentent le même degré de criminalité, il n’y en a pas deux non plus qui souffrent au même degré de la peine que la loi leur inflige. Ce sont là les cas particuliers des innombrables inégalités humaines. On peut défier les législateurs les plus avises et les plus perspicaces de les classer d’une manière satisfaisante et d’y remédier avec efficacité.

En tout cas, l’impôt progressif parait être l’expression fiscale du système qui veut se fonder sur l’égalité des sacrifices. Or. C’est ici que nous cessons tout à fait de comprendre M. Mill. On demandait un jour à l’éminent publiciste, dans une enquête législative, ce qu’il pensait de l’impôt progressif, il répondit sans hésiter : « j’estime qu’un impôt gradué n’est autre chose qu’une volerie graduée. » Fort bien ! Mais comment établir autrement la gradation des sacrifices et des efforts ? L’impôt progressif le fait grossièrement, mais il essaie de le faire tant bien que mal. Ne serait-ce pas que, s’il y a bien des cas où les principes philosophiques pénètrent très heureusement dans les choses humaines, il n’est pas toujours possible de les y faire entrer ? Or, nous ne voyons ici aucun moyen d’introduire la théorie toute psychologique de l’égalité des sacrifices dans le rôle du percepteur. C’est ainsi que le même économiste, estimant qu’il est moral et utile à la société d’encourager l’épargne, bâtit là-dessus un système ingénieux où il divise le revenu en deux parties : celle qu’on dépense, et qui doit être taxée, et celle qu’on met de côté, et qui doit échapper à l’impôt. Cela se justifierait par bien des raisons économiques. Mais M. Say fait observer qu’il est impossible de déterminer à l’avance la partie du revenu qui sera épargnée, et que cela dépend des gens et des circonstances. Il nous apprend, à ce propos, que, quand l’auteur des Principes d’économie politique était appelé dans des commissions législatives, où il avait à s’expliquer sur les difficultés