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les satisfait point. Non-seulement ils voudraient s’affranchir de la tutelle de l’Espagne, de la Castille, comme ils disent, opposant en toute occasion l’élément catalan à l’élément castillan ; mais ils prétendent ne rien souffrir en Catalogne qui ne soit purement et foncièrement catalan ; car tout ce qui n’est point d’origine catalane, ils le tiennent pour étranger. Cet étroit provincialisme, exclusif et intolérant, ne peut manquer de transformer à bref délai la prétendue renaissance en inévitable avortement. Comment un peuple qui n’a pas su conserver intacte sa nationalité se ferait-il une nationalité nouvelle, de toutes pièces, en éliminant et proscrivant tout élément hétérogène ? En faisant table rase de la tradition, de l’atavisme, des influences séculaires du milieu, une pareille utopie ne se pourrait concevoir qu’en admettant l’hypothèse des générations spontanées : car ces rêveurs ont oublié que le passé est irrévocable, et que, selon la remarque d’un grand historien, prœterita magis reprehendi possunt quam corrigi. En supposant même que les quatre provinces actuelles de la Catalogne fussent unies, unanimes ; en admettant que les anciens royaumes des Baléares et de Valence fissent cause commune avec elles, qui oserait garantir une fortune durable aux pays confédérés de langue catalane ? Il faudrait s’isoler pour vivre, et quelle serait la civilisation issue d’un pareil isolement ? Et comment faire abstraction, non-seulement du passé, mais des mille influences qui font que les peuples voisins se pénètrent mutuellement par toute sorte de communications, de transactions incessantes ? Quand même les catalanistes intransigeans seraient sûrs de pouvoir compter sur le concours douteux des grandes cités catalanes et sur l’adhésion peu probable des Valenciens et des Baléares, ils ne gagneraient rien à se séparer de l’Espagne. Castillane ou non, la nationalité espagnole existe en réalité, tandis que la nationalité catalane n’est qu’un mythe. Cette haine puérile de l’élément castillan s’étend jusqu’aux corps savans et littéraires. Les catalanistes purs, à cheval sur les termes, reconnaîtront à la rigueur une académie espagnole, mais une académie castillane, jamais, bien que le castillan soit l’organe des diverses académies qui résident à Madrid. Tel puritain du catalanisme répudiera tous les ouvrages qu’il a eu le malheur ou la faiblesse d’écrire en espagnol, non, mais en castillan, et ne reconnaîtra comme authentiques et légitimes que ceux en langue catalane. Voilà où en est aujourd’hui le fanatisme des sectaires bornés qui oublient que l’histoire contemporaine a fait justice de l’outrecuidante devise : Italia fard da se. Si l’expérience des siècles n’enseignait point la prudence, à quoi donc servirait l’histoire ?

Les plus avancés, sinon les plus éclairés, font bon marché du passé ; et, avec une confiance égale à leur ignorance, ils s’imaginent