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ignare et grossière, et des agitateurs qui cultivent et exploitent les basses passions de la plèbe, en répandant sans honte ces écrits populaciers qui n’ont de nom dans aucune littérature. Le jour où ces prédications de carrefour auront porté leurs fruits, la noble cité de Barcelone, centre principal de cette vile propagande, verra disparaître les admirables monumens d’un glorieux passé, et la façade de l’hôtel de ville, les deux statues de marbre qui semblent veiller sur les riches archives de la couronne d’Aragon : le roi conquérant et le premier des conseillers.

Ni les conservateurs, ni les orthodoxes ne sauraient contempler avec indifférence les progrès sensibles de ce travail latent de fermentation profonde et intense dont la restauration littéraire a été la cause indirecte, occasionnelle, mais très efficace. La Voix de Montserrat, dont le titre indique assez la couleur, se plaint vivement au nom de la foi, comme le grave Diario de Burcelona, une des plus anciennes et des meilleures feuilles de l’Espagne, proteste, au nom de la raison, contre les théories échevelées du Diari català, dont les prétentions insolentes sont venues à la suite des doléances déclamatoires de quelques périodiques, purement littéraires à leur origine, qui ont fini par s’inoculer le virus rabique de la politique; l’effet ne peut en être conjuré que par la contre-inoculation du patriotisme, autrement fécond que l’esprit de clocher, soit qu’on l’appelle provincialisme ou catalanisme.

Il semble que tous les partis devraient s’entendre sur ce mot sacré et désarmer au nom de la patrie. Loin de là ; c’est précisément ce mot qui les divise le plus, qui fomente et envenime les haines. Les uns ne veulent d’autre patrie que la Catalogne, sinon telle que la firent les rois d’Aragon, comtes de Barcelone, du moins telle qu’elle était avant Philippe V, vengeur prédestiné de la maison d’Anjou, dont il portait le nom. Les autres se contenteraient, au besoin, d’une petite patrie dans la grande ; mais ils n’entendent point que la Castille se substitue à l’Espagne pour tyranniser la Catalogne. Ceux-ci, indépendans et autonomistes purs, demandent tout simplement la séparation; ceux-là, séparatistes d’une autre manière, désirent que la Catalogne, état libre, entre dans une fédération de toutes les provinces de la Péninsule, qui formerait l’union ibérique, sous le nom d’états-unis espagnols. De tous les dissidens, — on pourrait dire de tous les prétendans, — ce sont peut-être les plus raisonnables : ils conçoivent que la Catalogne ne soit pas seule au monde et consentent à ne point la confondre avec l’univers. Les plus positifs comprennent parfaitement que l’histoire ne recommence point et acceptent l’état présent des choses, à savoir la Catalogne province de l’Espagne, quelle que soit d’ailleurs la forme du gouvernement espagnol. Tels sont, en somme, les