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statistique. « La Catalogne aux Catalans » est sans doute une formule exacte et légitime, compatible avec l’unité nationale ; car enfin, de par l’histoire et la géographie politique, les Catalans sont Espagnols, malgré leur antipathie pour la Castille ; mais une autre formule, non mois juste et vraie, est celle-ci : « La littérature aux lettrés; la science aux savans; l’art aux artistes. » Les Latins, si souvent cités, avaient dit cela en vers et en prose : Quam quisque norit artem, in hav se exerceat. Tractent fabrilia fabri. Les Catalans, qui ont un nombre infini de proverbes, devraient mettre ces deux-là dans leur collection. La patrie catalane, la petite patrie, comme ils disent, n’oblige point ses enfans à faire des tours de force ou des prodiges d’esprit pour montrer la plus grande variété d’aptitudes en un temps donné. Le génie d’une race a beau s’évertuer; il ne saurait se développer que selon sa nature. Ni l’orgueil, ni l’ambition, ni la plus sainte envie de réparer le temps perdu par une éclatante revanche ne le changeront point. Chasser le naturel, quelle folie ! Prétendre le forcer, quelle sottise ! Donner sa note dans le concert des lettres, et surtout la donner nette et claire, rien de mieux ; mais aspirer à remplacer l’orchestre et à exécuter à soi seul une symphonie, un concert, c’est le propre d’un virtuose dépourvu de raison.

Les hommes de talent qui ont inauguré bien modestement cette innocente restauration, qui a pris depuis des allures révolutionnaires et anarchistes, s’alarment à bon droit de ce mouvement tumultueux, de ces convulsions épileptiques, faussement considérées comme des manifestations d’une vitalité puissante par les progressistes à outrance, partisans systématiques de l’agitation quand même. Ni Rubió y Ors, ni Mariano Agniló, ni Antonio Bofarull, ni Gerónimo Rosselló, ni quelques autres dont le nom signifie quelque chose, ni Balaguer lui-même, malgré ses incertitudes et variations, en un mot, pas un de ces hommes de mérite et de labeur qui composent la pléiade catalane, à laquelle manque l’honnête et savant Manuel Milá y Fontanals ; pas un de ces littérateurs distingués n’a donné des arrhes sérieuses au parti insensé, et tous les jours grossissant, qui voudrait éliminer de la Catalogne tout ce qui n’est pas foncièrement catalan, comme si la Catalogne, qui n’est en définitive qu’une province, était un pays sans frontières ni voisins. Ces patriotes bornés et fanatiques n’ont pas tenu compte des bons avis, des avertissemens très sensés qui sont venus de plusieurs points de la province catalane, et en particulier de Valence et de Palma, où cette espèce de rage catalaniste a trouvé les esprits réfractaires à la contagion.

Ni les autres villes capitales, Girone, Lérida, Tarragone, ne tiennent à descendre; ni les autres pays de langue catalane ne veulent recevoir la loi de Barcelone, qui est sans contredit la ville principale, mais celle où l’on parle le plus mauvais catalan. Est-ce le refus péremptoire