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aussi quelque chose de fondé. Sans prétendre inconsidérément qu’il faille tout réformer en Tunisie, le moment est venu où il importe de modifier l’organisation économique, du moins le régime commercial de l’ancienne régence. Nous jetterons un coup d’œil sur le pays, sur ses ressources, sur son organisation, sur les ébauches de la colonisation naissante, et nous pourrons distinctement nous rendre compte de l’avenir de la civilisation française à Tunis et des mesures qui en peuvent favoriser le développement.


II.

On n’est exactement fixé ni sur l’étendue, ni sur la population de la Tunisie. Il semble que nous ayons craint, au début, d’occuper toute la contrée : l’idée de laisser entre notre nouvelle possession et la Tripolitaine une sorte de zone neutre rencontrait à Paris beaucoup d’adhérens. On se flattait qu’une certaine surface de désert laissée à l’état vague, comme les anciennes marches, assurerait le mieux la tranquillité du pays. Le projet de mer intérieure du commandant Roudaire, si énergiquement appuyé par M. de Lesseps, entretenait cette illusion. Aussi les Chotts ou lacs salés du sud furent-ils considérés comme une frontière naturelle, et Gabès, qui en forme le seuil, malgré la mauvaise qualité de ses eaux qui en rend la séjour très malsain aux Européens, fut regardé, — et il l’est encore, — comme notre poste extrême. Depuis quelque temps, on s’est avisé que nous perdions ainsi un territoire considérable, que la Tunisie s’étend bien au-delà des Chotts, que le seul moyen de pacifier les tribus nomades est d’établir chez elles notre autorité qu’elles invoquent, de les soumettre à un contrôle qu’elles se déclarent prêtes à accepter et de transporter notre garnison la plus méridionale de l’oasis insalubre de Gabès à celle beaucoup mieux placée et mieux douée qui s’appelle Zarzis et qui se trouve à une quinzaine de lieues de Gabès, au sud-est, tout près de la Tripolitaine. L’habile résident général, M. Cambon, a mainte fois proposé au gouvernement cette extension de l’occupation française ; il semble que de vieilles et tenaces rancunes du ministre de la guerre, dont on n’a pas oublié les démêlés avec notre résident tunisien, fassent seules obstacle à l’exécution d’un plan aussi judicieux. On sera obligé, toutefois, un jour ou l’autre, d’établir un poste militaire près de la frontière réelle, et de même que, en Algérie, nous tenons maintenant garnison à Aïn-Séfra, tout près de l’oasis marocaine de Figuig, nous devrons porter nos avant-postes tunisiens à Zarzis, qui se trouve, par rapport à la Tripolitaine, dans des conditions analogues, avec le double