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la régence, le général ou prince Mustapha qui fut notre adversaire et qui est devenu notre hôte, avaient réuni des richesses colossales dont une partie consistait en terres dans le pays qu’ils avaient administré. La faveur du souverain est dans les pays musulmans aussi précaire que prodigue ; quand elle se retire, l’ancien favori n’a guère d’autre ressource que de s’exiler et de réaliser ses biens ; la comptabilité était si peu respectée, les ministres, jusqu’à ces derniers temps, en prenaient avec elle si à leur aise, qu’il était facile de prouver après leur chute que leur biens étaient mal acquis. Une soudaine élévation, une faveur illimitée, une prompte et gigantesque fortune, une chute rapide, l’exil volontaire ou forcé, la reprise ou la confiscation des biens, telles étaient les habituelles et successives étapes des ministres dans un pays à gouvernement despotique et capricieux. Aussi tous ces princes ou ces aventuriers heureux qui avaient détenu le pouvoir ne se souciaient pas de conserver, longtemps après l’avoir perdu, de grands domaines dans la régence. Ce fut ainsi que Khérédine vendit les 120,000 ou 130,000 hectares de l’Enfida à la Société marseillaise. On sait que les tribunaux tunisiens ont donné tort à Ben-Ayad dans ses revendications contre le bey. Le général Mustapha lui-même a jugé expédient, il y a environ un an, de constituer, à Paris, une société anonyme à laquelle il a fait apport de tous ses domaines tunisiens, .au nombre d’une douzaine, paraissant avoir ensemble, d’après les déclarations faites au fisc, environ une centaine de mille hectares d’étendue, peut-être davantage.

Toutes ces propriétés géantes, dont la plupart ne comprennent pas moins de 5,000, 8,000 ou 10,000 hectares, seraient volontiers cédées à des Européens. La terre disponible ne manque donc pas en Tunisie. On la trouve par lots énormes, mais généralement assez loin des centres et des voies de communication, qui sont peu nombreuses encore. Dans la banlieue des villes, de Tunis notamment, on rencontre des domaines d’une étendue plus restreinte, 3, 4 ou 500 hectares, 1 ou 2 milliers d’hectares. Ce sont là les petites et les moyennes propriétés. Il y a trois ou quatre ans, on trouvait à les acquérir pour des sommes qui variaient entre 30 ou 40 francs l’hectare et 100 francs. Le premier prix était celui des très vastes domaines, situés loin des villes et des chemins, ayant souvent une partie montagneuse. Le prix de 100 francs répondait aux lots moins étendus et mieux situés. Il s’agit d’ailleurs, dans l’un et l’autre cas, d’un sol embroussaillé,. sans bâtimens, qui n’a reçu qu’une culture arabe, encore sur une faible partie de sa surface; il faut donc de fortes dépenses de défrichement et de constructions pour le transformer en quelque chose qui ressemble à un domaine d’Europe.