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d’essayer d’introduire en Tunisie des paysans français pour y pratiquer le régime du métayage ?

Ces critiques sont exagérées, mais non dépourvues de toute vérité. On en doit faire son profit pour éviter les fautes qui ont pu être commises dans la colonie voisine. Sans doute, l’engouement pour la vigne en Algérie a trop exalté l’esprit et les espérances d’un grand nombre de colons. Quelques-unes des opinions courantes, entretenues par les journaux et les commérages individuels au sujet de cette magnifique culture, sont radicalement erronées. Quand on affirme que la vigne en Algérie produit à sa seconde feuille, c’est-à-dire à la deuxième année, quand on prétend qu’elle rend aisément 80 à 100 hectolitres à l’hectare, on s’illusionne. La vigne n’est pas plus précoce en Afrique que dans le midi de la France ; elle peut dans les premières années offrir une végétation plus luxuriante, mais elle ne porte pas plus tôt des fruits. Certains cépages, comme la carignane, peuvent à la troisième feuille donner une demi-récolte ; mais les autres cépages, comme l’aramon, le mourvèdre, ne commencent à fournir une véritable récolte qu’à la quatrième feuille, et d’une façon générale l’on n’arrive guère au plein de la production qu’à la cinquième ou la sixième année. Quant au rendement, il est en général inférieur à celui des vignes prolifiques de nos départemens méridionaux tels que l’Hérault ou l’Aude. Sans insister sur certaines infériorités, au moins passagères, des vignobles africains, tels que moins d’entente et de perfection dans le traitement de l’arbuste, moins d’abondance dans les fumures, une condition physique semble s’opposer à ce qu’en général la vigne produise d’aussi grandes quantités en Afrique que dans la France méditerranéenne, c’est la sécheresse de l’atmosphère pendant l’été et au moment de la récolte. Dans la luxuriante plaine de Béziers et de Narbonne, il est rare que, dans la quinzaine ou le mois qui précède la vendange il ne survienne pas quelque pluie qui fasse gonfler le raisin et en double le jus. Tout au moins, les abondantes rosées matinales ont cet effet. En Afrique, ces pluies sont très rares, elles sont souvent remplacées par le sirocco qui dessèche la grappe. De là les quantités moindres que semblent devoir produire les vignes africaines. Mais ce malheur a sa contre-partie heureuse. Le vin d’Afrique est plus alcoolique ; il a souvent aussi plus de bouquet et, en définitive, plus de valeur. En supposant que la récolte moyenne soit, pour le cours d’une dizaine d’années et pour un vignoble de 100 hectares, de 40 hectolitres seulement à l’hectare et en évaluant le prix à 30 francs, ce qui semble se rapprocher, pour une série d’années, de la valeur probable, on obtient un rendement brut de 1,200 francs au moins par hectare ; si l’on