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maisons de commerce, ou explorer les mines, introduire dans cette civilisation naissante nos idées et nos goûts, ou, cerveaux brûlés de la politique, tout imprégnés encore de nos luttes civiles, chercher, trouver des chefs comme M. de Pindray ou M. de Raousset-Boulbon, et mourir en tentant de conquérir la Sonora et de donner à la France un royaume dans le Pacifique.

Au début, les mines en attirèrent un bon nombre, mais l’instinct essentiellement sociable de notre race en retint beaucoup à San-Francisco. Ingénieux à se tirer d’affaire, ils eurent recours à une foule de petites industries. Ils se firent chasseurs, manœuvres, débardeurs de navires, voituriers, coiffeurs, garçons de restaurant. L’un d’eux eut une idée ingénieuse ; établi décrotteur, il nettoyait les bottes à 5 francs la paire. Il employa ses premières économies à se fabriquer un couteau émoussé à large lame d’or, avec lequel il raclait les chaussures et qu’il faisait miroiter avec complaisance aux yeux de ses cliens. Il n’en fallut pas davantage pour lui en amener un nombre considérable. En quelques mois il réalisa un fort joli bénéfice, s’acheta un lot de terrain, le revendit fort cher plus tard et rentra en France avec une honnête aisance. Plusieurs autres, et du nombre se trouvait le marquis de La P…, s’établirent jardiniers à la mission de les Dolores. Un vicomte de F…, devenu bonne d’enfans, promenait dans les rues une petite voiture à babies.

L’une des individualités françaises les plus en vue à cette époque était celle du marquis de Pindray. Issu d’une vieille famille du Poitou, M. de Pindray arriva, par terre, du Mexique à San Francisco en 1850. D’une rare hardiesse et d’une incontestable bravoure, il était doué d’une force musculaire prodigieuse. De ses mains fines et déliées il ployait en deux une piastre mexicaine et soulevait sans effort des poids considérables. Excellent tireur, il demanda à la chasse ses moyens de subsistance et approvisionnait San Francisco de viande d’ours. Cet animal abondait alors dans les forêts du Coast Range ; on en faisait une grande consommation vu son prix, inférieur de moitié à celui du bœuf. Il se rendit aussi aux mines, mais sans grand succès. Lassé de lutter contre la misère et désireux de conquérir par un coup hardi la fortune, à laquelle il tenait moins encore qu’à l’éclat et à la renommée, M. de Pindray rêva de conquérir les mines de la Sonora, province mexicaine au sud de la Californie. La guerre de 1846-1847, qui s’était terminée par la défaite du Mexique, le traité de Guadelupe-Hidalgo et la cession de la Haute et de la Basse-Californie aux États-Unis, avaient laissé le Mexique épuisé d’hommes et d’argent, accablé de ses revers et impuissant à faire respecter l’autorité centrale. En Sonora, l’administration