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aussi nettement l’un des traits caractéristiques de sa race, par d’autres elle mettait en relief non moins saillant ses qualités d’ordre, d’économie, de goût ingénieux et artistique. Dès 1851, le commerce français occupait à San-Francisco un rang important. Cinquante et un navires sous pavillon national y apportaient les produits de notre industrie, nos vins, nos huiles, nos savans, nos conserves et nos soieries, et, dans les chiffres de l’importation, la France venait au quatrième rang avec 10,200,000 francs. De nombreux comptoirs, des maisons de banque importantes y représentaient notre haut commerce, et nos ouvriers, largement payés, affirmaient leur supériorité et introduisaient dans la ville naissante nos procédés, nos modèles et notre goût.

Jusqu’en 1855, les opérations commerciales à San-Francisco étaient livrées à tous les hasards. Il fallait plus d’un mois pour transmettre à New-York un ordre d’envoi, près de deux avant qu’il parvînt à Paris ou à Londres. Le transport par le cap Horn n’en exigeait pas moins de quatre, souvent six. Il en résultait, dans les prix des articles les plus usités, des fluctuations qui déjouaient tous les calculs et mettaient à néant les combinaisons les mieux établies. Si l’on pouvait, dans une certaine mesure et malgré l’absence de publications officielles, se rendre compte des existences sur le marché, il n’en était plus de même pour les chargemens en route, la plupart des manifestes portant la mention d’articles divers, ou assortis. Le taux élevé de l’intérêt de l’argent, qui, de 10 pour 100 par mois en 1840, se maintenait encore à 3 et 4 pour 100, rendait impossible la détention pendant un laps de temps considérable des articles en baisse; les craintes d’incendie et l’impossibilité d’assurer obligeaient, en outre, les importateurs à vendre à tout prix. De là des hausses et des baisses subites, qui faisaient des opérations commerciales un jeu perpétuel, enrichissant les uns, ruinant les autres, au gré du hasard. Un article venait-il à se faire rare, il montait de 100 à 300 pour 100 en quelques jours ; trop abondant, il baissait dans les mêmes proportions. C’est ainsi que le bois de construction se vendit à 2,000 francs les mille pieds carrés pour retomber ensuite à un prix qui ne payait même pas le fret. Le tabac en plaques atteignit un moment 10 francs la livre; deux mois après, il était invendable, on en utilisait des milliers de caisses en guise de briques, que l’on jetait dans la boue pour asseoir les fondemens des maisons. Une construction en bois dans la rue Montgomery reposait entièrement sur ces assises d’un nouveau genre. Le beurre salé de New-York variait de 4 francs à fr. 30 la livre, et de tout ainsi. Ces fluctuations incessantes encourageaient une spéculation effrénée. Elle s’incarna surtout dans un homme qui joua, à cette époque, un