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Un pareil zèle est digne d’estime, et sa naïveté même est touchante; mais puis-je faire que ses effets soient autres qu’ils ne sont? Puis-je me forcer de croire que tels personnages, ses instrumens, sont des hommes et de certains hommes ? Puis-je croire qu’ils agissent tout de bon comme ils paraissent agir? Puis-je me réjouir ou m’affliger de leur bon ou mauvais sort?

Mlle Arnaud a résolu de nous édifier, dans une salle de spectacle, au profit des idées que l’on sait. Une fable, aussitôt, s’offre pour la servir : il y avait une fois une femme patriote et un oppresseur étranger; cette femme avait un fils, et l’oppresseur une fille, et ces enfans s’aimaient; cette femme fit de son fils un martyr de la patrie plutôt que de le laisser devenir le gendre de l’oppresseur. — Rien de surprenant à ce que cette anecdote se soit proposée d’abord : elle appartient à cette morale patriotique en action qui s’imprime peu à peu dans nos cerveaux, à nous tous habitués des théâtres. Supposez que le vieil Horace de Corneille, — ou le Froll-Gerasz de M. Déroulède, — soit le père de Karloo de M. Sardou, il le poussera au bûcher plutôt que de consentir à ce qu’il épouse, même amoureux, la fille du duc d’Albe. De tels événemens ne nous étonnent pas. Déjà, au temps de La Motte-Houdard, on vit le cadet des Macchabées aimer la favorite d’Antiochus(il eût aussi bien aimé sa fille), et périr plutôt que de renier Israël; on sait, d’ailleurs, que ce Macchabée avait une mère.

A propos, il faut donner des noms aux personnages de notre anecdote : pourquoi le jeune homme ne serait-il pas un Macchabée? L’oppresseur serait Antiochus. La partie se jouerait alors entre les Juifs et les Syriens. Elle se serait jouée aussi bien entre les Polonais et les Russes, entre les Hongrois et les Turcs, — entre d’autres adversaires encore qu’il est plus décent de ne pas nommer. Mais, pour l’exemple, il sera bon que le dévoûment et l’espoir des patriotes soient récompensés, sans attendre plus que la durée de cinq acte s, par le triomphe de la patrie. Judas Macchabée, c’est connu, rentra victorieux dans Jérusalem : va donc pour les Juifs et les Syriens.

Juifs et Syriens, ce choix fait, l’auteur se recueille-t-il pour les évoquer? Essaie-t-il de ressusciter, par une sorte d’hallucination, les véritables Macchabées et le véritable Antiochus? Ou du moins, s’il se méfie de l’érudition et ne prétend qu’être poète, s’il dispense son œuvre, à la rigueur, d’être historique et veut seulement qu’elle soit humaine, s’efforce-t-il de créer des Macchabées, un Antiochus, qui soient les siens et qui vivent d’une vie nouvelle, mais qui vivent, enfin? On assure que, si Mlle Arnaud a évité de nommer les Macchabées en tête de l’ouvrage et même dans le dialogue, c’est par un scrupule respectable et pour éviter les remontrances des docteurs en Israël. Il y a eu, à la même époque, deux familles désignées de ce nom par la légende :