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qui a le mieux réussi, c’est l’avant-dernier; et pourquoi? Un père qui ne veut pas laisser sa fille mourir de langueur amoureuse, un conquérant qui veut maintenir sa conquête et qui sait pourtant la vanité des grandeurs humaines; ce père, ce conquérant, sollicité par les prières de cette fille, assurément ce n’est rien de très neuf, ni de particulier, ni qui porte en soi un caractère de réalité bien efficace; mais les discours de cet Antiochus, — un Mithridate qui a lu les Contemplations avec profit, — ont de l’ampleur et de la noblesse ; vers la fin de ce concert, c’est un air de violoncelle qui remplit mélodieusement les oreilles: on applaudit, et c’est justice. D’ailleurs, çà et là, d’un bout à l’autre de la soirée, dans les soli de clairon qui sont la part, l’abondante part de Jahel, il se trouve des phrases bien sonnantes : elles réveillent les bravos. Mais à l’ordinaire, il faut le dire, la langue de Mlle Arnaud est incertaine: les impropriétés, les incorrections y sont fréquentes. Sa versification, à l’ordinaire aussi, est malaisée; le plus fâcheux, c’est que souvent elle est gênante: où le style menaçait d’être mauvais, elle le rend pire. Judas, nous le savons, n’est guère plus Juif que Polonais ou Hongrois; mais il est nègre plutôt, lorsqu’il s’écrie :


Et fusse je cadavre, et fussé-je poussière
Qu’à moi Dieu renverrait la vie et la lumière!


Et, à coup sûr, son petit frère n’est pas Français quand il déclare :


Je suis de Mathathias et fils de cette femme.


Parmi ces obscurités, des éclairs. Comme l’émissaire d’Antiochus veut enseigner à Jahel ce qu’elle doit faire de ses fils, elle répond :


S’il se peut, des héros ! s’il le faut, des martyrs !


Avec Mlle Arnaud, je ne connais guère que l’auteur de l’Hetman qui soit capable aujourd’hui de vous envoyer ces vers à la Corneille, raide comme balles de chassepot. On sait que lui aussi, bien que son style d’homme soit soutenu par une latinité solide, se passe quelques licences; il est naturel que Mlle Arnaud s’en permette un peu plus. Voilà plusieurs fois, dans cette étude, que le souvenir du poète-soldat me saute à l’esprit : c’est que l’œuvre de Mlle Arnaud, pour l’idée comme pour la forme, c’est du Déroulède femelle.

Mme Favarta prêté à Jahel son ardeur, rallumée pour la circonstance, et les artifices de sa diction; à Antiochus M. Paul Mounet a prêté sa