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mâle et simple prestance et le timbre généreux de sa voix. Mlle Baréty, en princesse syrienne éprise d’un Juif, a paru échappée du Cantique des cantiques ; un débutant, M. Laroche, dans le rôle de Jean, a paru échappé du Conservatoire, non sans avoir emporté un prix. M. Albert Lambert a représenté le conseiller du roi avec sa correction et son intelligence habituelles. Tous, le premier soir, ont senti au visage le vent de la faveur publique : les habitués peu naïfs de ces fêtes théâtrales se savent si bon gré d’entendre l’expression d’un beau sentiment, ou un beau vers, ou seulement quelque chose qui y ressemble ! Et puis, on est là pour encourager la littérature et le grand art. Si cette heureuse soirée n’a pas été suivie de beaucoup d’autres, c’est que le commun des spectateurs ne se connaît aucune mission de ce genre et trouve un goût moins rare à la vertu. Ce vulgaire, pour s’intéresser à une fable, a besoin d’y croire : nous avons dit pour quelle noble raison celle-ci était incroyable.

Hélas! Jacques Bonhomme, de M. Maujan, est aussi « une œuvre de conviction, » et, pis encore, une œuvre de parti. Après la pièce patriotique, voici la pièce révolutionnaire, c’est-à-dire un prétendu drame historique où ni l’histoire ni le drame ne trouve son compte. C’était pourtant un beau sujet que la Jacquerie ! s’il serait prudent et opportun de l’exposer sur un théâtre, on pouvait en délibérer. On pouvait craindre, assurément, d’induire la foule en quelque méprise : le spectacle des misères passées risquait d’exagérer chez elle le sentiment des misères présentes, la vue des représailles anciennes risquait de l’animer à de nouvelles violences, auxquelles elle supposerait les mêmes excuses. Dangereuse ou non, cependant, l’œuvre d’art, imaginée avec désintéressement, accomplie avec impartialité, devait être belle. Mérimée, jadis, en une suite de scènes, comme écrites à l’eau-forte, avait tracé les études du tableau qu’il restait à composer. Les mœurs atroces du XIVe siècle, il les avait montrées exactement ; les mouvemens des âmes, et de plusieurs sortes d’âmes, dans l’un et l’autre camp, les passions diverses et les diverses inquiétudes d’esprit, du côté des seigneurs et du côté des Jacques, toute la psychologie de cette petite guerre civile et sociale, l’auteur du Théâtre de Clara Gazul l’avait déterminée avec vraisemblance et précision. A l’intérêt que présentait cette série de dialogues, on pouvait juger de l’émotion que soulèverait un drame décoré de ce titre : Jacques Bonhomme.

Mais c’est bien de psychologie et de drame, de ces superfluités, qu’il s’agit! Ce n’est pas pour rien, — quoique sans loyer, — que le conseil municipal de notre bonne ville a cédé à une société d’acteurs le ci-devant théâtre des Nations, devenu « Théâtre de Paris. » Il s’est rappelé le décret du 3 août 1793, ordonnant la représentation d’ouvrages qui fussent des fermens de civisme, et les paroles de Barère à la Convention,