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inégale qui se déroule depuis quelques mois dans ces régions bulgares et dont la paix de l’Orient est l’enjeu. D’un côté, un petit peuple retranché dans ses droits, visiblement abandonné par tout le monde, même par ceux qui l’ont excité, se défend comme il peut et ne laisse échapper aucune occasion de manifester sa volonté persévérante de rester indépendant. Une conspiration, un coup d’état nocturne lui enlève le prince qu’il a choisi : il ne se rend pas au fait accompli, il rappelle son prince, désavouant avec éclat les conspirateurs, et le jour où ce prince, accablé sous le poids d’une haine impériale, sent lui-même la nécessité d’abdiquer la couronne qui lui a été rendue, ce petit peuple ne se décourage pas encore, il s’accommode d’une régence qui exerce un pouvoir précaire en attendant la réunion d’une assemblée nationale chargée de fixer le sort du pays. C’est là, certes, une situation périlleuse où peuvent se produire bien des troubles, bien des incidens d’anarchie, et il est vraisemblable qu’il y en a eu en Bulgarie. Somme toute cependant, la paix intérieure se maintient au milieu de toutes les excitations. Les élections se font et l’assemblée nationale, la sobranié, se réunit à Tirnova ; régence et représentans élus du pays commencent par attester une fois de plus leurs vœux d’indépendance, et leur premier acte est d’élire un nouveau prince, le prince Waldemar de Danemark, qui est l’allié de toutes les maisons souveraines, le beau-frère de l’empereur de Russie aussi bien que du prince de Galles. C’est l’acte le plus récent, acte certes pacifique et inoffensif de la sobranié réunie à Tirnova.

Voilà qui est curieux : un peuple qui, après s’être placé, il est vrai, dans une situation assez fausse, en dehors des traités, se borne à se défendre par une sorte de résistance passive, à voter pour un nouveau prince, à émettre des vœux pour la sauvegarde de son indépendance ! D’un autre côté, une grande puissance qui, par son seul poids, accablerait ce petit peuple, est là partout présente, ne négligeant rien pour ressaisir son influence, pour provoquer des manifestations en sa faveur, pour persuader aux populations que ce qu’elles ont de mieux à faire, c’est de se confier au tsar. La Russie agit en souveraine dans ce pays bulgare. Elle ne reconnaît pas la régence, ou du moins elle ne la reconnaît que pour lui créer des embarras, pour lui demander la mise en liberté des conspirateurs qui ont renversé le prince Alexandre ou la répression de désordres dont les agens russes sont le plus souvent les auteurs. Elle ne reconnaît pas davantage l’assemblée de Tirnova, qui s’est réunie malgré elle et dont elle a contesté d’avance la légalité. Tout ce qu’elle demande à la régence et à la sobranié, c’est de s’en aller, de céder la place à un pouvoir mieux disposé à recevoir ses ordres. Le commissaire qu’elle a envoyé pour la représenter et qui parcourait récemment les provinces, le général Kaulbars, semble n’avoir eu d’autre objet que de favoriser une sorte d’insurrection contre