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Jérusalem devint une institution d’Israël et peut-être celle qui pesa de la manière la plus capitale sur ses destinées.

La révolution opérée par ces mesures ne fut pas en province aussi sensible qu’on pourrait le croire ; car le mouvement de centralisation du culte avait commencé à s’effectuer depuis la destruction du royaume d’Israël et depuis Ézéchias. Des mesures furent prises pour que la boucherie, qui jusque-là avait été inséparable des sacrifices, ne fût pas trop gênée par la centralisation. Une seule boucherie centrale pour Juda, c’était trop peu. La boucherie fut en quelque sorte laïcisée, et on admit des tueries profanes. C’est à Jérusalem que la réforme fut profonde et changea entièrement la face de la religion. Le temple prit une importance toute nouvelle. Il devint ce qu’était le temple de Melkarth à Tyr, le sanctuaire national unique d’un Dieu qui n’a qu’un temple et est seul dans son temple[1]. Le monothéisme absolu fut fondé sur un signe évident et tangible. Les prophètes, qui jusque-là n’avaient pas tenu grand compte du temple, commencèrent à se grouper autour de lui, dans les liska[2], qui formaient une sorte de galerie autour de l’édifice sacré. Le temple en vint, de la sorte, à ressembler beaucoup à une mosquée musulmane, avec ses qobbé, servant à l’enseignement. D’un autre côté, une véritable armée de sacristains se forma autour du temple. Un long travail d’organisation commença. Le lévitisme, qui jusque-là n’avait pas été un rival sérieux pour le prophétisme, devint une puissance, ou pour mieux dire un obstacle avec lequel l’esprit libre d’Israël dut compter.

Les fêtes se trouvèrent, du même coup, fixées et généralisées. Elles ne purent plus être célébrées qu’à Jérusalem ; le pèlerinage devint ainsi une obligation et prit une importance capitale. La Pâque surtout fut fixée dans ses moindres détails. Tout souvenir naturaliste fut écarté. La Pâque ne fut plus qu’un souvenir de la délivrance de l’Égypte, considérée comme le grand bienfait qui rattachait Iahvé à son peuple.

En devenant ainsi le centre panégyrique de la nation, le temple devenait le centre du mouvement national. Les réunions de foules au temple, pour les jeûnes et les fêtes, étaient l’occasion choisie par tous les agitateurs. C’est dans ces réunions que Jérémie récitait ou faisait lire ses pièces les plus incendiaires. C’était quelque chose d’analogue aux réunions antéislamiques de la vallée de La Mecque, où tout le mouvement de l’Arabie aboutissait. Jésus, six cent cinquante ans après Jérémie, sera en cela, comme sur

  1. Monœcus. Se rappeler Hercules Monœcus, Monaco.
  2. Comparez le grec Λέσχη.