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Le millionnaire d’aujourd’hui peut être pauvre demain et un autre occuper sa place. Il importe donc de se ménager mutuellement, de se concilier le plus d’amis, de sympathies possible. Le champ est vaste, comme tel il exclut toute idée de rivalité. Il y a place pour tous, et l’espace n’est mesuré à personne.

San-Francisco est, à juste titre, renommé pour la beauté de ses femmes, dont le type se rapproche beaucoup plus du type italien pour la pureté des traits et du type saxon pour le teint, que de ceux de New-York, de Boston et des états du sud. Les enfans sont sains et robustes, le climat réunissant au plus haut degré les conditions favorables au développement physique de la race. On ne retrouve pas en Californie les traits distinctifs de l’Américain du Nord : le teint terreux, les lèvres minces, le corps long, maigre, osseux et légèrement voûté, la poitrine étroite et la voix rude qui caractérisent les Yankees. Les jeunes hommes de vingt-cinq à trente ans, nés dans ce milieu nouveau, rappellent plutôt le type anglais, celui de leurs ancêtres, qui reparaît après plusieurs générations : les joues pleines et rosées, la poitrine large, les membres bien musclés.

Américain d’origine et de traditions, le Californien est surtout et avant tout Californien, fier de son état, de sa ville, de son histoire. Chez lui, la tendance particulariste est plus accentuée que chez aucun de ses compatriotes. Un instinct secret l’avertit du rôle que l’avenir lui réserve et l’y prépare en développant en lui des idées nouvelles. Il aime sa cité comme un Athénien, un Spartiate, un Romain aimaient Athènes, Lacédémone ou Rome ; il a foi dans sa grandeur, non plus cette foi superstitieuse que l’antiquité a connue, mais une foi fondée sur des données statistiques et des chiffres précis. Aux vieilles légendes païennes des dieux fondateurs et protecteurs des villes, aux légendes chrétiennes assignant à chacune son patron et sa devise, son église et son saint, il a substitué les calculs mathématiques d’une progression contrôlée et confirmée par l’expérience. A l’aide de ces données, il est arrivé à la conviction que sa ville sera, dans un avenir prochain, la grande métropole des états du Pacifique, comme New-York de ceux de l’Atlantique. Il voit en elle la capitale d’un empire futur, le jour où, par la force même d’expansion inhérente à sa race, et, par suite, de l’impossibilité de faire vivre sous un régime financier commun des états manufacturiers et des états exclusivement producteurs de matières premières, la république se scindera en deux ou trois grands tronçons. La guerre de sécession l’a averti, malgré son insuccès, que, pour être retardée, cette heure n’en est pas moins fatale. Il l’attend sans impatience comme sans regrets. Son patriotisme ne s’en alarme pas plus que ses intérêts ne s’en effraient. Il est essentiellement de son temps, plus cosmopolite à ce point de vue que ne le sont encore les hommes