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de lui leurs ambassadeurs ou se hâtaient d’aller se prosterner à ses pieds. On savait qu’un des moyens les plus sûrs de flatter ou de gagner la majesté impériale, ainsi que ses officiers, c’était de leur offrir des objets d’art. L’éducation flamande de Charles-Quint lui avait donné de bonne heure pour la peinture un goût très vif et très sûr. Ses lieutenans et ses ministres, soit par besoin de flatterie, soit par esprit d’imitation, soit par curiosité personnelle, affectaient pour les tableaux italiens, dont la valeur vénale grandissait rapidement, un enthousiasme qui n’était pas toujours exempt d’arrière-pensées profitables.

Les patrons de Titien, les ducs de Mantoue et de Ferrare, se trouvaient bien en passe pour exploiter ces dispositions. L’un des conseillers les plus influens de Charles, Covos, que nous connaissons déjà, se montrait ainsi l’un des plus ardens à se former une galerie. Ferrante Gonzaga, frère de Frédéric, lui fit offrir, au débotté, un beau Sébastien del Piombo. Alphonse d’Este, toujours soupçonné de secrètes sympathies pour le roi de France, brûlant d’avoir les mains libres pour s’emparer de Modène et Reggio, villes réclamées par le pape, mais séquestrées par l’empereur, ne pouvait se montrer moins gracieux. Ses agens à Bologne, Alvarotti et Casella, reçurent l’ordre de gagner à tout prix l’amitié de Covos ; celui-ci leur en fournit vite l’occasion. Le 9 janvier 1553, comme on venait de s’entretenir d’affaires, la conversation tomba sur les belles peintures ornant le cabinet du duc à Ferrare, notamment sur les portraits du duc et de l’empereur, par Titien, qu’on y admirait. Covos déclara sans ambages qu’il lui serait tout à fait agréable d’emporter ces deux toiles en Espagne ; il ajouta même qu’il ne saurait point mauvais gré au duc d’y joindre quelque autre petit souvenir, comme le portrait de son fils Hercule. Il désirait d’ailleurs être promptement fixé. La réponse ne se fit pas attendre. Le prince remerciait le ministre du grand honneur qu’il lui faisait et lui permettait de choisir, parmi ses tableaux, ceux qui lui plairaient le mieux, à moins qu’il ne préférât les faire choisir par Titien lui-même. Il est vrai que, dans la liste jointe à sa lettre, il omettait précisément son portrait, celui dont on parlait tant. Covos ne se gêna pas pour en faire la remarque, déclara qu’il tenait surtout à cette peinture parce qu’il avait entendu dire à Titien qu’elle était bonne, et se contenta d’y faire joindre une Judith, un Saint Michel, une Vierge, dont leur auteur faisait aussi grand cas. Tous ces tableaux d’Alphonse, sauf le portrait, pouvaient être expédiés par Gênes. Pour ce dernier, il le lui fallait tout de suite à Bologne afin que l’empereur le pût admirer. Casella et Alvarotti s’efforcèrent en vain de temporiser. Six jours après, le conseiller renouvela sa demande avec impatience. Alphonse d’Este dut s’exécuter et livrer