Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/66

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

montrait qu’il n’était pas sans inquiétude sur le sort des traités qui devaient mettre toutes les forces militaires de l’Allemagne au service de sa politique. Le dénoûment, cependant, ne pouvait être douteux. La Prusse avait trop d’atouts dans son jeu pour ne pas vaincre les suprêmes résistances que lui opposaient les chambres méridionales dans l’espoir d’échapper à une fatale absorption. Il aurait fallu, pour que sa politique succombât, que les trônes de Bavière et de Wurtemberg, dans les jours où se décidait le sort de l’Allemagne, fussent occupés par des princes expérimentés, jaloux de leurs intérêts dynastiques, comme le roi Max et le roi Guillaume[1], les prédécesseurs du roi Louis et du roi Charles. M. de Bismarck avait tous les mérites, mais il avait aussi tous les bonheurs : il rencontrait, pour réaliser ses desseins, l’aveuglement à Vienne, le fatalisme à Paris, la rancune à Saint-Pétersbourg, l’ingratitude en Italie et, sur les trônes les plus importans d’Allemagne, des souverains sans postérité directe, sans ambition, sans virilité.

Après toute une semaine de discussions irritantes, l’opposition était vaincue à Munich et à Stuttgart ; les conventions douanières et les traités d’alliance étaient ratifiés successivement, à de faibles majorités, le 28 octobre, par les chambres bavaroises, et le 30, par les chambres wurtembergeoises, malgré la répugnance des masses pour des arrangemens contraires à leurs penchans.

La Prusse n’a pas l’habitude de s’endormir sur un succès; à peine les traités étaient-ils sanctionnés que déjà elle s’appliquait avec la même énergie à en poursuivre la prompte et rigoureuse exécution. Mais pour être vaincus, ses adversaires ne désarmaient pas. « Nous persisterons dans notre haine contre les violences de la Prusse, disaient les journaux. La presse mercenaire aura beau vouloir égarer l’opinion au dehors sur les sentimens de notre peuple, en exploitant le vote de chambres privilégiées et poltronnes, nous ne sacrifierons pas nos droits et nos libertés au despotisme prussien décoré mensongèrement du nom d’unité allemande. »

Le baron de Varnbühler et le prince de Hohenlohe n’étaient pas au bout de leurs peines. Tout indiquait que, pour faire prévaloir les exigences du cabinet de Berlin, ils auraient à lutter contre le sentiment public, et que les chambres, violentées, entraînées par surprise, ne mettraient aucune complaisance à voter les sommes qu’ils

  1. Le roi Guillaume de Wurtemberg était le père du roi régnant et de la reine Sophie des Pays-Bas, issue d’un premier lit. Il était des souverains allemands de son temps le plus avisé et le plus éclairé. Souvent il avait eu occasion de donner de sages conseils à Napoléon III; en 1850, lors de la guerre d’Italie, il lui rendit un signalé service : « J’ai réussi, disait-il au comte de Reculot, notre ministre à Stuttgart, à empêcher la mobilisation des armées de la confédération germanique. Puisse l’Italie être la dernière aventure de l’empereur, car je ne réponds pas de le préserver une seconde fois des haines qui se sont accumulées contre lui en Allemagne! »