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Augsbourg, en 1545, que Titien avait fait un premier portrait de Philippe, âgé de vingt-quatre ans, en cuirasse d’apparat, chausses et haut-de-chausses de soie blanche, celui qui se trouve au musée de Madrid. La richesse des accessoires et la beauté du coloris y faisaient un peu oublier ce qu’il y avait déjà de triste et de dur dans ce visage ingrat. Deux ans après, lorsqu’il fut question du mariage de Philippe avec Marie Tudor, la reine Marie, sa tante, ne crut pouvoir mieux faire, afin de décider l’Anglaise, que de lui envoyer cette peinture, sous la condition expresse de la lui restituer lorsqu’elle aurait le bonheur de posséder l’original. La vieille princesse tomba, en effet, extraordinairement amoureuse de son jeune fiancé sur le vu du tableau, qu’elle rendit consciencieusement, en 1554, après les noces. Pendant les longues négociations qui précédèrent ce mariage, Philippe avait fait de nombreuses commandes à Titien. Le maître lui avait d’abord expédié en Espagne, avec des tableaux de dévotion, une Danaé plus réaliste que la Danaé des Farnèse ; au moment du départ de Philippe pour l’Angleterre, il était en train d’achever une Vénus et Adonis.

La correspondance qu’ils eurent à ce sujet nous édifie à la fois sur la générosité du jeune monarque, lorsqu’il rencontrait un artiste soumis à ses désirs, et sur la facilité avec laquelle sa dévotion mêlait à des pratiques superstitieuses le goût des nudités provocantes. Vénus et Adonis, envoyés à Londres, y arrivèrent quelques jours après le mariage royal, accompagnés d’une lettre de l’artiste qui ne semble indiquer ni de sa part, ni de celle de son client, une intention bien ferme de demander à la peinture des encouragemens aux vertus matrimoniales : « Votre Majesté regardera, je l’espère, cette peinture, de cet œil joyeux qu’elle avait naguère l’habitude de tourner vers les œuvres de son serviteur Titien. Comme la Danaé se voyait tout entière par devant, j’ai voulu varier dans ce second poème, et lui faire montrer la partie opposée, afin que le cabinet où elles se doivent tenir soit plus gracieux à la vue. Bientôt je lui enverrai le Poème de Persée et Andromède, qui offrira une vue différente encore, et de même pour Médée et Jason… » Philippe II trouva, en effet, le tableau superbe, mais constata avec chagrin que la toile, durant le voyage, avait pris un mauvais pli ; il renouvela, plus que jamais, ses minutieuses recommandations au sujet des emballages. L’idée de faire jouer des scènes érotiques à tous les personnages de la fable antique lui souriait d’ailleurs particulièrement ; ce ne furent pas seulement Persée et Andromède, Médée et Jason qui le rejoignirent en Espagne les années suivantes, mais encore Diane avec toutes ses nymphes, tantôt découvrant la grossesse de Calisto, tantôt faisant dévorer