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semblables à des meules de blé. À l’est comme à l’ouest, une vaste plaine gazonnée s’en allait rejoindre à l’horizon une chaîne de collines basses. À droite, une cavité buissonneuse marquait l’emplacement du cimetière. « Une demi-heure se passait à voir se coucher le soleil. Des fumées bleues s’élevaient dans l’air calme du soir. Le bétail rentrait à pas lents dans les kraals ; les petits Betchouanas, montés à cru sur leurs bœufs, s’amusaient à les faire galoper, et les vieillards, en contemplant cette scène tranquille, se rappelaient les jours sombres d’autrefois, le temps où la guerre et les rapines désolaient tout le pays et où la vallée du Kuruman était le redoutable repaire de farouches Boschimans, dont on entendait siffler les flèches empoisonnées. » Les hommes qui s’en vont semer un peu de bonheur dans un coin perdu de l’Afrique et dans des terres avares méritent bien de l’espèce humaine, et le paisible lecteur de leur histoire, qui médite sur leurs exploits au coin de son feu, les pieds sur les chenets, sans entendre autour de sa maison le cri menaçant du chacal et le grondement famélique de l’hyène, aurait mauvaise grâce de marchander son hommage à ces nobles aventuriers.

Tel grand fabricant de Manchester ou de Birmingham, disciple plus ou moins tiède, serviteur plus ou moins fidèle de l’église officielle d’Angleterre, regarde de haut en bas les obscurs missionnaires wesleyens qui vont prêcher l’évangile aux nations barbares ou sauvages. Il méprise leur dévotion agitée, l’étroitesse de leurs pensées, leurs pieuses illusions, leur zèle indiscret et souvent tracassier, leurs pratiques parfois ridicules. Mais nos voisins ont une intelligence si vive, si nette de leur intérêt qu’elle triomphe de leurs mépris, et ce même fabricant versera de grand cœur, chaque année, un bon nombre de livres sterling dans la caisse des missions, son expérience et ses calculs l’ayant convaincu des services que peuvent rendre au commerce anglais ces hommes de petite condition qu’il ne tient pas pour des gentlemen et dont il rougirait de serrer la main. Par les routes qu’ils ont ouvertes, arrivent bientôt les colporteurs de marchandises, accompagnés de trafiquans d’ivoire, tels que ce Philipps que Serpa Pinto rencontra chez les Bassoutos et qui lui disait : « Si le ciel pouvait exaucer mes vœux, tout ce qui pousse, tout ce qui existe deviendrait de l’ivoire et serait à moi. »

Les missionnaires sont les pionniers du commerce ; partout où ils s’établissent, ils font naître des besoins nouveaux dans des populations qui n’en ont guère. On assure que nombre de missionnaires anglais, pour stimuler la générosité de leurs riches patrons, entrent avec trop de complaisance dans leurs vues, se transforment en de véritables commis-voyageurs, mêlant avec art le sacré au profane, faisant tour à tour l’article pour le Christ, leur divin maître, et pour