Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 78.djvu/70

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aggraver. La sécurité de la France, son rang dans le monde, étaient en jeu, l’opposition aurait dû maîtriser ses ressentimens contre l’empire autoritaire, se rallier autour du gouvernement pour lui permettre de réorganiser l’armée et d’empêcher la Prusse de reconstituer à nos portes l’empire d’Allemagne, que la vieille France avait mis deux siècles à détruire. C’était là ce que commandait le patriotisme, mais l’esprit de parti l’emportait sur l’amour du pays.

Le gouvernement de l’empereur n’ignorait pas les craintes et les espérances que ses embarras éveillaient au-delà du Rhin. « Notre situation intérieure, écrivait-on d’Allemagne au marquis de Moustier, apparaît à l’étranger précaire, menaçante ; les appréhensions qu’elle soulève dans la presse et dans les chancelleries paralysent notre influence. Il règne en Allemagne, mon devoir est de ne pas vous le laisser ignorer, le sentiment instinctif que nous marchons en France, à pas rapides, vers une grande crise, pour ne pas dire vers une catastrophe. Cette conviction, vous la trouverez reflétée, avec tous les ménagemens possibles, dans une lettre que vient de m’adresser un diplomate allemand de mes amis, bien placé pour connaître la pensée du gouvernement prussien et les sentimens du roi Guillaume. Mon correspondant ne cache pas qu’à Berlin, dans les cercles officiels, on tient notre situation pour grave, et qu’on est convaincu que déjà l’empereur n’est plus en état de la dominer. Voici ce qu’il m’écrit :

« Les rapports officiels entre Berlin et Paris sont bons. Des deux côtés on est calme, bienveillant et modéré. On est très prudent à Berlin, on cherche à retenir les ardens ; on ne fait rien pour accélérer la marche des événemens. Le roi m’a parlé dernièrement de sa politique allemande ; il croit avoir poussé la circonspection aussi loin que possible; il ne cherche qu’à modérer, qu’à retenir ceux qui voudraient l’entraîner. Il n’a signé qu’à contre-cœur le traité avec le prince de Waldeck, qui, pour se soustraire à des charges budgétaires écrasantes, s’est déchargé sur la Prusse de l’administration de son pays. Ce n’est pas de la faute de la Prusse si les conditions d’une existence souveraine manquent aux petits états. La constitution fédérale, loin de les médiatiser, leur permet de vivre; abandonnés à eux-mêmes, ils cesseraient bien vite d’exister.

« L’empereur Napoléon n’a certes pas l’idée de se précipiter dans une guerre pour satisfaire les passions qu’exploitent ses adversaires. J’ai confiance en sa sagesse ; mais il faut qu’il reste maître de la situation. A Berlin, je vous le dis en toute franchise, on pense généralement qu’il ne l’est déjà plus. On est frappé des oscillations de sa politique, qui le font pencher tantôt vers la Russie, tantôt vers l’Autriche, et dans la question romaine, on le tient pour complètement débordé par les influences cléricales. On croit aussi que l’état