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le plaisir de sa démonstration ne l’aurait pas peut-être un peu trop fait abonder dans son sens.

Quelle influence Hugo aura-t-il exercée, sinon sur les « penseurs, » au moins sur les poètes ou les versificateurs de son temps ? On la croirait considérable, et, quand on y regarde, elle semble médiocre. Ni Lamartine, sans doute, ni Musset n’ont subi l’influence d’Hugo, mais lui, bien plutôt, celle de Lamartine ; et, quant à nos contemporains, c’est de Vigny que leurs idées procèdent, et leurs formes d’Hugo, si l’on veut, mais encore à travers Gautier. Aussi M. Faguet, dans ses Études, n’a-t-il eu garde d’oublier Gautier. Pourquoi ne l’a-t-il pas placé tout aussitôt après Hugo ? On eût mieux vu la filiation, et comment Gautier, pour l’instruction des Parnassiens, a mis en préceptes réglés toute une part au moins de la poétique inconsciente du maître. Si je ne craignais d’irriter deux ombres à la fois, j’appellerais Gautier le Boileau du romantisme. Et qui sait, après tout, s’ils ne s’entendraient pas mieux qu’on ne pense ? « Il faut avouer, disait Boileau, que j’ai deux grands talens : l’un de bien jouer aux quilles, et l’autre de bien faire les vers. » Et Gautier disait pareillement : « Je suis très fort ; j’amène cinq cents au dynamomètre, je fais des métaphores qui se suivent, et je vois le monde matériel. » Sans rien exagérer, ou même plutôt en le maltraitant un peu, M. Faguet a rendu justice à Gautier. L’œuvre de Gautier périra peut-être, mais l’homme comptera toujours dans l’histoire de la littérature du XIXe siècle, comme ayant fait école, et marqué à sa manière le passage du romantisme au naturalisme contemporain.

Je n’aime pas autant les Études qui suivent : l’une sur Mérimée et l’autre sur George Sand. Mérimée a-t-il exercé une telle influence qu’il eût sa place marquée dans le volume de M. Faguet ? Je le crois ; mais en parlant de Mérimée, et en en parlant bien, toujours est-il que M. Faguet n’a pas trouvé la formule qu’on eût voulu pour justifier son choix. Il me semble que, pour la trouver, il faudrait la chercher, comme pour Gautier, dans la transition du romantisme au naturalisme. Par des moyens tout différens, et, par exemple, en réduisant le travail du style à la parfaite exactitude de la notation algébrique, donner au bizarre, à l’invraisemblable, à l’exceptionnel au moins l’accent de la réalité, n’est-ce pas l’exercice ordinaire où Mérimée s’amuse ? Et si c’est par Gautier que les naturalistes nous sont venus d’Hugo, ne serait-ce point par Mérimée qu’ils descendraient de Stendhal ?

Je n’insisterai pas non plus sur l’Étude qu’il consacre à George Sand. Elle manque de largeur, et le jugement de M. Faguet m’y semble quelquefois en défaut. Il y oublie d’abord que la révolution du roman a daté dans la littérature contemporaine de la publication et du succès l’Indiana, de Valentine, de Jacques. La veille encore, on en était