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de l’opinion publique en France n’est pas rassurant, que le mécontentement se généralise et que les anciens partis sont à l’œuvre pour exploiter les fautes commises, pour dépopulariser le gouvernement et le renverser... »

« Vous voyez que notre situation intérieure inspire en Allemagne de sérieuses appréhensions ; quelque exagérées et quelque pénibles que puissent être ces craintes, elles ne méritent pas moins de fixer notre attention. On peut se méprendre à distance sur certaines manifestations, en exagérer la portée, mais, par contre, on est mieux placé à l’étranger pour juger une situation dans son ensemble. Les difficultés qui pèsent sur le gouvernement de l’empereur entrent en tout cas, pour une bonne part, dans les calculs de la politique prussienne, et peut-être ne sont-elles pas étrangères aux pourparlers qui se poursuivraient en vue d’un rapprochement entre le cabinet de Vienne et le cabinet de Berlin. Si la Prusse spécule sur nos dissensions intérieures pour achever son œuvre, en face de notre impuissance. L’Autriche a tout lieu d’en redouter le contre-coup. Notre alliance est son seul appui ; que deviendrait-elle si, au milieu des difficultés qui l’assiègent, menacée par la Prusse et la Russie, notre assistance politique et militaire devait, par le fait d’une révolution, lui faire défaut?

« Ces réflexions n’infirment en rien ce que je vous ai écrit dernièrement sur les tendances aujourd’hui si pacifiques de la Prusse. M. de Bismarck a rompu avec le parti militaire; il a le désir sincère de vivre en paix avec nous, mais il ne rompt pas pour cela avec le sentiment national, et si les défaillances de notre politique intérieure devaient lui fournir l’occasion de terminer son œuvre, il ne la laisserait certainement pas échapper. J’ai causé ces jours derniers avec des membres du National-Verein, et je me suis aperçu qu’ils s’inspiraient d’un mot d’ordre : j’ai constaté que le temps d’arrêt que le chancelier ostensiblement affecte d’imprimer à sa politique d’expansion n’ébranle en rien leur confiance dans une solution prochaine de la question allemande.

« La situation des Prussiens est cependant loin d’être bonne, leurs finances s’épuisent, la famine les ronge[1] et le mécontentement règne partout ; mais ils ont sur nous d’incontestables avantages : ils sont dégagés de toute préoccupation dynastique, ils poursuivent la réalisation d’une grande idée, ils ont une solide armée et ils sont animés d’une passion que nous avons perdue, celle de la conquête. »

  1. Des milliers de personnes mouraient littéralement de faim dans les provinces orientales de la monarchie, sans que le gouvernement, dont toutes les ressources budgétaires passaient aux armemens, put leur venir en aide.