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« Eh quoi ! s’écriait le cardinal de Bonnechose au sénat, le successeur de saint Pierre, le vicaire du Christ, le régulateur de deux cent millions de consciences catholiques serait à la merci d’un roi d’Italie! Le père commun des fidèles, le collège apostolique, ne pourraient délibérer, se mouvoir, agir, que sous son bon plaisir! Le conclave se tiendrait sous la menace des baïonnettes ! Et l’univers se soumettrait à un pouvoir ainsi dégradé, à un pouvoir tombé au niveau des patriarches de Constantinople ! »

Le cardinal de Bonnechose subissait les entraînemens de sa sainte éloquence, mais il n’était pas prophète ; il ne prévoyait pas, tant les décrets de la Providence sont impénétrables, qu’avant peu le trône de saint Pierre serait occupé par un souverain pontife qui, à toutes ses vertus évangéliques, joindrait l’esprit politique, et que, loin de tomber au niveau des patriarches de la décadence, il trouverait moyen, malgré les atteintes portées au pouvoir temporel, de défendre les intérêts de l’église et d’imposer son autorité aux plus audacieux.

Les esprits libéraux en France, en rupture avec nos vieilles et sages traditions, soutenaient dans les chambres et dans la presse que notre mission était de seconder les aspirations des nations vers l’indépendance et l’unité et non de les contrarier. Ils prétendaient, imbus de souvenirs classiques, que la France devait être, pour l’Europe, ce que le forum ou l’agora était pour la cité antique. Ils cherchaient notre suprématie non dans la puissance militaire et dans les agrandissemens de territoire, mais dans la conquête morale des idées, ils méconnaissaient notre histoire. L’Italie leur était particulièrement chère; ils lui restaient fidèles, sans s’arrêter à l’hostilité qu’elle nous avait si manifestement témoignée ; aucun déboire ne pouvait ébranler leurs sympathies. Des générations entières, attendries, indignées au récit des souffrances endurées par ses patriotes sous les plombs de Venise et dans les cachots du Spielberg, avaient compati à son sort et rêvé son affranchissement; il était dur, pour des âmes généreuses, de renoncer à leurs illusions et de reconnaître qu’elles étaient payées d’ingratitude.

L’opposition reprochait au gouvernement impérial ses tendances ultramontaines ; elle taxait sa politique d’espagnole. Elle demandait si la France serait condamnée à monter au Vatican une éternelle faction. « Comment le pape, disait-elle, a-t-il reconnu vos services? Vous avez eu beau le supplier, du ton le plus respectueux, d’entrer dans la voie des réformes et de la conciliation, il a répondu à vos supplications, au bout de dix-sept années, par l’Encyclique et le Syllabus. Vous avez voulu régénérer la papauté malgré elle et vous tous apercevez tardivement qu’elle ne veut pas se régénérer. La souveraineté temporelle continuera-t-elle à s’abriter sous notre drapeau,